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faire du livre de La Rochefoucauld une apologie de la religion chrétienne, cependant il ne laisse pas d’y être une espèce de préparation. « Mon cher lecteur, faisait-il dire à un anonyme ou disait lui-même dans l’Avis au lecteur de l’édition de 1666, je me contenterai de vous avertir de deux choses, l’une que... et l’autre, qui est la principale et comme le fondement de toutes ces Réflexions, est que celui qui les a faites n’a considéré les hommes que dans cet état déplorable de la nature corrompue par le péché. » Et, sans doute, il y a quelque malice ou quelque ironie dans cette précaution oratoire, mais un peu moins pourtant que l’on ne croit; et quand il y en aurait encore davantage, il resterait toujours vrai que les Maximes contiennent « l’abrégé d’une morale conforme aux pensées de plusieurs pères de l’église. » Ce qui n’est pas moins vrai, c’est qu’en fait, au XVIIe siècle, on ne prit pas autrement le livre des Maximes; on le trouva d’une ressemblance entière; et au fond, si l’on y veut bien regarder d’un peu près, la raison en est que le jansénisme avait accoutumé les esprits à cette image de la nature humaine.

Enfin, c’est au jansénisme et à son influence que le XVIIe siècle et sa littérature doivent cet aspect de grandeur et de sévérité morales qui les caractérisent. Non pas, sans doute, que ce caractère se retrouve indistinctement dans toutes les œuvres de l’époque. S’il est le siècle de Pascal et de Bossuet, il est aussi celui de La Fontaine et de Molière ; en sortant d’écouter les sermons de Bourdaloue, je sais que l’on allait voir jouer Amphitryon ; et je n’oublie pas que le temps de Massillon sera le temps des romans de Courtilz de Sandras, de Mlle de La Force, de Mme de Murat, le temps de la comédie de Regnard, de Lesage, de Dancourt. On n’ignore pas sans doute que, dans l’histoire de la littérature dramatique, à l’exception peut-être du théâtre anglais de la Restauration, — celui de Congreve et de Wycherley, — il peut bien y avoir des inventions plus hardies ou plus libres, il n’y a rien de plus indécent, rien qui soit d’aussi mauvais ton. Mais ce n’est qu’un peu plus tard, sous la régence et vers le milieu du siècle suivant, que cette littérature de tripots ou de mauvais lieux atteindra son épanouissement. En attendant, elle est comme étouffée sous le bruit de la voix des grands prédicateurs, et si bien étouffée qu’aujourd’hui ceux-là seuls connaissent les œuvres ou le nom de Dancourt et de Courtilz de Sandras, qu’une insatiable curiosité ou la nécessité professionnelle y obligent.

C’est que les Provinciales ont porté coup et que l’effet en dure toujours. Depuis que Pascal a démasqué la politique des jésuites, les confesseurs, directeurs, prédicateurs ont compris qu’il leur fallait eux-mêmes rompre avec l’habitude qu’ils semblaient avoir prise,