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il avait senti l’appui que trouvait enfin le sentiment religieux dans ces aveux de l’homme qui n’avait pas été seulement l’un des plus grands écrivains du siècle précédent, mais aussi l’un de ses savans les plus illustres. C’est ce qu’il nous faut essayer de montrer maintenant, — et que, si l’on a quelque peine à retrouver des cartésiens dans les plus grands écrivains du XVIIe siècle, il n’est rien au contraire de plus aisé que d’y reconnaître des jansénistes.


IV. — L’INFLUENCE DU JANSÉNISME.

Il y en a seulement deux ou trois, et des plus grands, qui n’ont pas plus subi l’influence du jansénisme que celle du cartésianisme ; qui ne sont pas pour cela demeurés en dehors du mouvement des esprits ; qui représentent seulement une autre direction ou un autre courant d’idées, — dont nous avons dit que nous essaierons prochainement de préciser le sens et la portée, — Molière et La Fontaine, l’auteur des Fables et des Contes, celui de l’Ecole des femmes et de Tartufe. Mais cette exception faite, et de quelque côté que je tourne la vue, je ne vois plus que jansénistes, c’est-à-dire que poètes, qu’écrivains de toute sorte, que gens du monde et que femmes, dont les croyances et les opinions sont aussi voisines de celles de Pascal que distantes, au contraire, de celles de Descartes.

C’est en vain qu’on les persécute, — ou c’est peut-être parce qu’on les persécute, — mais les jansénistes remplissent la cour, la magistrature et la ville, Paris et les provinces. Les ministres en sont : Pomponne, Pontchartrain, Beauvilliers, Torcy. De grandes dames : Mme de Guémenée, Mme de Longueville, Mme de Liancourt, Mme de Sablé se sont honorées et s’honorent d’être appelées par les mauvais plaisans « les mères de l’église. » Les Messieurs de Port-Royal font l’éducation du jeune duc de Luynes. Ils recueillent les débris de la marine et de l’armée, Pontis, le corsaire dont ils ont écrit les Mémoires, et Tréville, l’ancien capitaine des mousquetaires du roi. Bien avant Arnauld et avant Nicole, le meilleur ami de Pascal, son confident le plus particulier, c’est le duc de Roannez, dont les faiseurs de roman ont même voulu qu’il ait aimé la sœur, depuis duchesse de la Feuillade. Jusque dans le clergé, séculier, régulier, à l’archevêché de Paris, dans les séminaires, dans les couvens, chez les carmélites de la me Saint-Jacques, et dans les congrégations, chez les Bénédictins de Saint-Maur ou chez les pères de l’Oratoire, si la soumission aux décrets du saint-siège arrête sur les lèvres l’expression du jansénisme, il est au fond des cœurs.