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II. — LE CARTÉSIANISME AV XVIIe SIECLE.

En général, pour en mieux étudier l’influence, on commence par isoler le cartésianisme, et, tout ce qu’il ne saurait expliquer dans l’histoire de la littérature ou de la pensée philosophique au XVIIe siècle, on le supprime. Cela se conçoit : de tant d’écrivains en tout genre qui ont rempli du bruit de leur nom les cinquante premières années du XVIIe siècle, l’auteur du Discours de la méthode n’est-il pas, avec celui du Cid, le seul aujourd’hui qui survive? Ils n’ont cependant ni seuls pensé, ni seuls écrit, ni seuls agi ; et si l’on osait un moment supposer qu’ils n’eussent pas existé, on voit bien ce qui manquerait à la philosophie ou à la littérature du XVIIe siècle; mais il en resterait toutefois quelque chose. Comment pourrait-on attribuer à Descartes la formation de cette société polie qui, depuis déjà plus de vingt-cinq ans, lorsque parut le Discours de la méthode, s’efforçait d’épurer les mœurs et le discours, et d’introduire dans le langage, — avec le bel esprit et la préciosité, sans doute, — le goût de la règle, celui de l’ordre et de la clarté? Je ne vois pas non plus quelle est la part de Descartes dans la détermination de cet idéal classique dont la fameuse querelle du Cid, — qui date, comme l’on sait, de 1637, — n’est pas elle-même, et il s’en faut, le premier monument. Avant le Discours de la méthode, il paraissait décidé que le théâtre français, s’éloignant du théâtre espagnol chercherait ses chefs-d’œuvre dans la voie indiquée, dès 1628, par le succès éclatant de la Sophonisbe de Mairet. De même encore, — et longtemps avant lui, puisque l’origine en remonterait au besoin jusqu’à l’hôtel de Rambouillet, — ce mouvement avait commencé dont l’objet était de donner à la langue française les qualités qui jadis avaient fait du grec ou du latin la langue universelle; et il venait d’aboutir, deux ans avant la première publication du Discours de la méthode, à la fondation de l’Académie française. Et bien moins enfin pourrait-on prétendre que le cartésianisme ait en quelque manière que ce soit favorisé le jansénisme, — puisque la réformation de Port-Royal est antérieure de vingt-cinq ans à Descartes, — et que c’est de là que devait sortir, non pas la seule, mais la plus redoutable opposition que le cartésianisme ait rencontrée. Or, toutes ces causes ont agi, comme causes, sur la formation de la littérature classique; et supposé que Racine ou Boileau doivent quelque chose à Descartes, ou plutôt au cartésianisme, ils doivent aussi quelque chose au jansénisme, à l’esprit académique, à Corneille, à cette société précieuse, — dont ils ont bien pu se moquer, mais dont ils n’ont pas moins subi assez profondément l’influence.