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avaient-ils tâché de reconquérir par l’attrait de la sévérité chrétienne les âmes qui glissaient hors de la main des « doux. » Ils avaient tous également échoué. Même la terreur, même le supplice de Vanini, brûlé, ert 1619, par les magistrats de Toulouse, ou celui de Jean Fontanier, brûlé deux ans plus tard, en 1621, par les juges de Paris, n’y avaient pu faire davantage. Favorisé qu’il était par de nombreuses causes, — dont les troubles de la fin du siècle, et le caractère plus qu’impie des querelles de religion, n’avaient pas sans doute été la moins agissante, — le mal avait continué de croître. C’est en 1623, dans un endroit souvent cité de ses Quœstiones in Genesim, que le savant père Mersenne, celui qui devait être un jour non-seulement le factotum, mais le facteur, si je puis ainsi dire, ou la « boîte aux lettres » de Descartes, passant en revue l’Europe catholique, n’évaluait pas le nombre des athées à moins de « 50,000, » pour Paris seulement. « Et il y a telle maison, disait-il, où j’en nommerais bien, si je le voulais, jusqu’à douze : In unica domo possis aliquando reperire duodecim qui hanc impietatem vomant. »

Athées ou sceptiques, en quoi consistaient leurs doctrines? ou même en avaient-ils une? C’est la question à laquelle on aurait depuis longtemps répondu, si nous n’avions été nourris dans le respect de l’une des paroles certainement les plus absurdes qui soient jamais tombées de la bouche d’un doctrinaire. Le doctrinaire, c’est Royer-Collard, et la parole absurde, c’est que « l’on ne fait pas au scepticisme sa part. » Mais, au contraire, on fait toujours sa part au scepticisme, puisqu’il n’y a pas un sceptique, — depuis Sextus Empiricus jusqu’à l’auteur de la Critique de la raison pure, — qui ne la lui ait faite ; et, du moment qu’on la lui fait, on fait nécessairement aussi celle des certitudes et des vérités que l’on met en dehors et au-dessus du doute. En réalité, les athées ou les « pyrrhoniens » du père Mersenne, ainsi qu’il les appelle lui-même dans un autre de ses ouvrages, ne sont pas des sceptiques, ou du moins, ne l’étant, avec leur maître Montaigne, que par rapport à la morale et à la religion, ce sont plutôt des épicuriens, ou même déjà des rationalistes. Ils ne trouvent point les preuves de la religion solides, — celles que Charron, par exemple, a exposées dans son livre des Trois Vérités, ou Raymond Sebon, avant lui, dans sa Théologie naturelle, traduite par Montaigne; — et ils ne croient pas davantage à l’objectivité du devoir, à l’universalité de la morale, ou à l’immutabilité de la justice. Aussi le langage populaire, qui est plein de ces profondeurs, les a-t-il admirablement appelés de ce nom de « libertins, » qui, s’il n’a point au XVIIe siècle le sens que nous lui donnons aujourd’hui, n’est pas non plus tout à fait synonyme de « libre