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— Adieu, dit-il, d’une voix rauque, en passant sur ses cheveux sa forte main tremblante. Vos lèvres... encore une fois.

Elle leva vers lui un visage docile, mais le baiser passionné de Dering laissa sa bouche entr’ouverte sans plus d’expression qu’auparavant.

— Je ne puis, je ne sens rien,.. J’ai beau faire.

Brusquement il s’agenouilla devant elle et lui prit les deux mains pour les poser sur sa tête inclinée.

— Dites: «Que Dieu soit avec vous, Jock! » murmura-t-il tout bas.

Elle répéta ces mots d’une voix douce et sérieuse, désirant lui complaire : — Que Dieu soit avec vous, Jock.

— Et qu’il soit avec vous ! ajouta-t-il dans un profond soupir. Un instant encore, il tint ses genoux étroitement embrassés, puis il s’en alla, en fermant la porte avec précaution derrière lui.

Alors elle se remit à chercher la bague perdue, la retrouva enfin sous le garde-feu et, soufflant les cendres qui la couvraient, la fit glisser à son doigt, tandis que s’éloignait la voiture qui emportait Dering.


Certes, le pauvre Jock Dering est frustré, mais il reste à savoir si feu Valentin Pomfret n’a pas lieu de se plaindre aussi. Le genre de fidélité qu’on lui garde ne serait pas pour satisfaire un jaloux. On a peut-être vu des veuves manquer à leurs premiers sermens avec moins d’impudeur que n’en met Barbara à tenir les siens, et nous nous étonnons qu’ayant l’habitude de « cette analyse morbide de soi-même qui est la malédiction de notre siècle, » la jeune femme n’ait pas démêlé qu’il importait peu de s’arrêter en si beau chemin.


TH. BENTZON.