Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le fond de l’église, les mains collées à ses oreilles. Un hurlement de supplication et de désespoir, terminé par un coup de tonnerre formidable, l’accompagna dans sa fuite. Il lui sembla que le sol tremblait sous ses pieds, puis l’averse se remit à tomber, et à l’extérieur un vent lugubre souleva l’épais tapis des feuilles mortes. Maintenant on ne discernait plus rien dans l’église que la silhouette générale des pupitres et des grandes tablettes, sauf quand l’incendie d’un éclair venait projeter son éclat pâle et fantastique sur tel ou tel objet. De nouveau le chien hurla, de nouveau ses lugubres aboiemens se perdirent dans le bruit du tonnerre.

— Il doit être tout près, se disait Barbara, retournée dans son banc de famille, il doit traverser Machunk-Creek. A. présent il gravit la colline, il tourne le sentier, il entre dans le cimetière, il...

Elle fut alarmée derechef par le chien qui bondit contre la fenêtre auprès de laquelle elle était assise et se laissa retomber sur le sol en hurlant. La vue de cette tête noire et de ces pattes crispées la terrifia au-delà de toute expression; elle courut se prosterner tremblante sur les marches de l’autel. L’éclair qui suivit, balayant toute l’église pour ainsi dire, fixa sous ses paupières demi-closes le reflet des grandes lettres noires de l’inscription en face d’elle, et lui imposa en même temps un souvenir contre lequel, depuis qu’elle s’était trouvée enfermée, elle luttait désespérément. Il lui sembla que ses veines s’injectaient d’eau glacée. La dernière fois qu’elle avait contemplé ces sombres caractères, elle était debout devant cet autel, dans sa parure de mariée. Elle revoyait toute la scène aussi distinctement que si elle y eût joué un rôle au moment même; elle revoyait la face bienveillante et sérieuse du ministre officiant, même la verrue sur une de ses narines et l’habitude qu’il avait de plisser à grands plis son ample menton ; elle revoyait le visage de son père, animé d’une expression anxieuse, tandis que la lumière du matin brillait blanche dans ses cheveux gris frisés, d’un si heureux contraste avec son teint frais, rougi par la bise; — elle revoyait la main de son mari qui tenait la sienne ; elle n’avait pas levé les yeux sur lui pendant toute la cérémonie ; — Elle revoyait l’imperceptible déchirure d’un de ses volans de dentelle qui s’était pris dans la portière de la voiture; elle entendait la voix de l’homme qui avait été son mari, une voix très particulière, sonore et profonde, prononcer la formule : — Moi, Valentin, je te prends, toi, Barbara, pour ma femme, et je te garderai à partir de ce jour dans le bonheur et dans le malheur, dans la richesse et dans la pauvreté, dans la maladie et dans la santé, t’aimant, te chérissant, jusqu’à ce que la mort nous sépare. — Elle entendit même quelque chose de plus ; elle sentit, quand ils furent en voiture, loin de