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— Je préfère me reposer un peu, merci, dit Barbara.

Il avait inconsciemment prononcé le mot qu’elle redoutait le plus : si la ressemblance des traits était aussi marquée que toutes les autres analogies, elle sentait qu’il lui serait impossible de la supporter. Lentement, elle regarda la main qui reposait sur le bras du fauteuil ; cette main aurait pu sortir de la tombe. Avec un cri, elle bondit sur ses pieds, balbutia quelques mots inintelligibles, gagna la porte et disparut.

Les sensations de John Dering n’étaient pas de celles que l’on peut envier. Fort alarmé d’abord, il haussa les épaules et recommença de se chauffer.

— Je me flatte de connaître les hommes, dit-il avec humeur, mais du diable si je comprends rien aux femmes.

Puis il se blottit dans le fauteuil que venait de quitter Barbara et attendit la suite de son aventure.

Rien n’arriva, sauf que Barbara reparut une demi-heure après. A peine la reconnut-il, dans ses longs crêpes noirs, sous un diadème de nattes luisantes correctement remis en ordre. Tandis qu’il prenait la main qu’elle lui tendait cette fois, avec le décorum d’usage, il se demanda si elle se déciderait jamais à lever ses paupières.

— Elle est belle, pensait-il en lui-même, mais elle est trop blonde et trop forte. La taille est trop développée,.. non, ce sont les épaules, non, elle est trop forte en tout,.. elle est d’un blond trop roux,.. non, elle a trop de cheveux,.. non, c’est sa manière de se coiffer.

Barbara ne démêla pas ses pensées en cette circonstance. Elle pensa qu’il remarquait sa pâleur et ses yeux rouges, qu’il se demandait si elle avait été vraiment assez amoureuse de son cousin, pour qu’une pareille quantité de crêpe fût justifiée. Pourquoi les beautés les mieux établies ne peuvent-elles pénétrer les pensées de la plupart des hommes quand ils leur sont présentés? Il n’y aurait pas tant de vanité dans le monde. Barbara, qui était une beauté reconnue, ne fit vibrer aucune corde particulièrement admirative chez Dering, jusqu’à ce qu’elle se fût tournée vers lui de profil en arrangeant les plis de sa robe.

— Un beau front, pensa-t-il, le nez, la ligne des lèvres tout à fait classiques, un menton superbe, vigoureux sans lourdeur,.. signe de volonté...

Barbara, toujours sans le regarder, tenait un écran entre la flamme et son visage, de sorte qu’il ne pouvait pas la voir non plus ; tout en causant de choses indifférentes, elle se demandait si elle pourrait souffrir longtemps encore qu’un étranger lui parlât