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En remontant la longue pelouse ombragée d’acacias, elle vit la lueur d’un grand feu dans le salon. Combien de fois avaient-ils salué, elle et Valentin, cette flamme bondissante et ondoyante quand ils rentraient après des promenades semblables ? Elle cessa brusquement de chanter et tomba à genoux dans l’herbe, tandis que ses deux lévriers s’élançaient gauchement sur elle, n’ayant pas l’instinct qui avertit quand les femmes s’agenouillent pour prier ou bien par manière de jeu. Le sentiment s’était emparé d’elle qu’il était là tout près, avec les autres essences impalpables de cette soirée sereine d’un gris doré. Bientôt la lumière baissa, parut s’éteindre, puis rejaillit plus haut que jamais. Quelqu’un avait jeté du bois dans la cheminée. Cette immobilité à genoux, sur la pelouse battue par le vent, l’avait glacée ; elle se leva et rentra dans la maison. Mais, la main sur la porte du salon, elle fit halte… Il semblait qu’une force quelconque la poussait à s’éloigner. Elle se détourna, et, d’un rapide mouvement d’oiseau, regarda par-dessus chacune de ses épaules successivement. Personne. Ouvrant la porte avec impétuosité, elle s’élança en courant jusqu’au milieu de la chambre. Alors elle regretta cette impulsion, car un homme se tenait devant le feu, courbé légèrement et se chauffant les mains, un geste très ordinaire, mais qui la blessa. On peut être individuel, même dans sa manière de se chauffer, et ce geste était celui de son mari. Durant la minute où elle en eut conscience, l’homme vint à elle. Alors Barbara commença de croire qu’elle traversait un rêve : la tournure, la démarche, la pose étaient si parfaitement identiques à la pose, à la démarche, à la tournure de son mari ! Mais le plus grand choc qu’elle reçut fut lorsqu’il parla.

— Vous devez être Barbara, dit-il, et la voix était celle de Valentin.

Tout tourna autour d’elle. Elle laissa tomber les feuillages rougis qu’elle rapportait. Celui qui venait de parler avec la voix de son mari la soutint jusqu’à une chaise ; c’était le même mouvement de bras qui avait été le sien ! Elle ferma les yeux et avança les deux mains comme pour repousser un spectre, tandis qu’il mettait un tabouret sous ses pieds, puis un coussin entre sa tête et le dossier de la chaise. Durant ces diverses opérations, il prononçait des phrases décousues :

— Désolé… J’aurais dû m’attendre… J’aurais dû demander de la lumière. C’est la clarté du feu qui vous aura trompée. Je suis John Dering, je suis Jock,.. le cousin du pauvre Valentin, vous savez ?.. Il m’a tant parlé,.. C’est-à-dire j’ai tant entendu parler de vous, qu’il me semble vous connaître. Cela va mieux ?.. Regardez-moi ; oui, la ressemblance est grande, tout le monde le dit.