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citerai que deux faits qui prouvent combien ces pratiques de l’état municipal sont funestes aux progrès : aux États-Unis, où ils foisonnent, les tramways ne sont l’objet, en général, que détaxes infimes. En Californie, le code civil (civil code), c’est-à-dire une loi générale, s’appliquant à tout l’état et limitant les pouvoirs des municipalités elles-mêmes, interdit de mettre un droit (licence fee) de plus de 50 dollars ou 250 francs par an sur chaque voiture servant aux transports communs dans la ville de San-Francisco, et de plus de 25 dollars, 125 francs, dans les autres villes. Or, à Paris, le droit perçu sur chaque voiture d’omnibus ou de tramway était récemment de 1,500 francs, et se trouve aujourd’hui de 2,000, juste huit fois le maximum de taxation autorisé par la loi californienne. Voici l’autre fait : la jalousie des municipalités à l’endroit des compagnies auxquelles elles ont accordé des concessions réduit souvent ces compagnies à une gêne si intolérable, que non-seulement elles ne paient plus aucun intérêt à leurs actionnaires, mais que, même, elles cessent tout service. Dans une ville importante et très intellectuelle du midi de la France, Montpellier, une compagnie avait accepté de construire un réseau de tramways avec un parcours trop étendu, des départs trop nombreux et des charges trop lourdes. Elle fit faillite : on mit plusieurs fois aux enchères le réseau qui était exploité depuis plusieurs années : le cahier des charges était tellement pesant qu’il ne se présenta d’acquéreur à aucun prix. A la fin, une société s’offrit pour reprendre la concession, à la condition de n’exploiter que les lignes principales et de diminuer le nombre des départs. La ville refusa; il se produisit alors ce fait vraiment inouï : on arracha les rails, établis à tant de frais, on les vendit comme du vieux fer. Voilà pourquoi Montpellier et vingt villes de France d’une importance analogue n’ont pas de tramways, tandis qu’on en trouve partout à nos côtés : en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Italie même et en Espagne.

Nous savons qu’une école bruyante prône l’accaparement par les municipalités de tous les services ayant un caractère public ou quasi public. Le socialisme municipal s’épanouit sur le continent européen; on en trouve aussi des traces nombreuses dans la Grande-Bretagne et même quelques embryons aux États-Unis[1]. Chez aucune de ces nations anglo-saxonnes, on n’a laissé accaparer par

  1. On peut consulter sur ce point toute la série des opuscules publiés par la Liberty and Property Defence League, notamment celui intitulé Municipal Socialism, 1885, et, d’autre part, pour l’Amérique, la série des études réunies sous le titre de the Relation of modem Municipalities to quasi public Works, American Economic Association, january 1888.