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une histoire intéressante, qui a bien des applications au temps présent, qui éclaire tout ce qui se passe sous nos yeux pour les tramways, les téléphones, l’électricité, et dont la répétition ininterrompue nous rend semblables au colimaçon, à un colimaçon dissertant et discutant sans avancer.

Ce qui caractérise les petits chemins de fer concédés ou exécutés en France sous la restauration, ce sont les traits suivans : concessions perpétuelles, faites par décret, sans intervention des chambres et sans sacrifices de l’état. A. la perpétuité on eût pu substituer la concession de quatre-vingt-dix-neuf ans ; on eût pu également faire intervenir les chambres, même lorsqu’on n’imposait aucun sacrifice au pays; mais il eût fallu que ces assemblées délibérantes, pour aboutir, eussent été animées d’un esprit d’équitable bienveillance envers les compagnies et qu’elles se fussent toujours placées, dans l’examen des concessions, au simple point de vue technique. Il n’en fut pas ainsi, et, pendant vingt ans, la construction des lignes ferrées ne fut guère en France qu’un sujet de discussion. Ce n’est pas que le pays fût indifférent ou ignorant en cette matière ; la presse s’en occupait avec ardeur ; un brillant publiciste, Michel Chevalier, signalait, sans se lasser, les procédés anglais ou américains. Presque chaque année dans les chambres on se livrait sur ce thème aux discussions les plus approfondies. Des savans comme Arago, des poètes comme Lamartine, animaient le débat en y mêlant tour à tour des éclats d’éloquence, des vues profondes et des préjugés enfantins. En 1857, en 1838, en 1842, il se produisit un de ces défilés de harangues dont on dit qu’elles honorent un parlement ; mais tout se passait en paroles, et après ce flot de discours, l’opinion publique était plus confuse et plus indécise qu’auparavant. Il semblait qu’un excès de raisonnement eût rendu la volonté malade. Cinq obstacles empêchaient de passer a l’action ; nous les énumérons, car on les retrouve encore aujourd’hui au travers de la plupart des nouveautés industrielles qui ont besoin pour se produire, sinon absolument du concours de l’état, du moins de son assentiment. Le premier obstacle était de nature doctrinale : il consistait en d’interminables discussions pour savoir si l’on confierait l’exécution des voies ferrées à l’état ou aux compagnies. L’abus de la controverse, l’argumentation infinie sur les avantages et les inconvéniens de l’une et l’autre solution, plongeaient les esprits dans une perplexité qui retardait d’une année à l’autre la décision. Le second obstacle était de nature parlementaire et électorale. Il tenait aux intérêts locaux de chaque représentant et s’offrait sous la forme de discussions âpres et sans cesse renouvelées (notamment en 1837 et en 1842) pour le classement