Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’était pas encore le chemin de fer tel que nous le concevons.

L’application de la vapeur à la locomotion réussit plutôt sur l’eau que sur terre. On connaît les essais, théoriquement heureux, de notre marquis de Jouffroy sur le Doubs, en 1776. L’invention française, comme la machine à coudre et comme tant d’autres de nos découvertes, nous revint d’Amérique, où elle s’acclimata, se perfectionna, se développa, au point qu’on l’y crut indigène. C’est une histoire connue que celle des dédains de Napoléon, représentant l’état moderne, pour Fulton en 1803. L’inventeur évincé retourna dans son pays, et, en 1807, traversa sur son bateau à va- peur le lac Érié. Le premier bateau britannique du même genre fut construit, en 1811, par Bell; il était mu par une force de 4 chevaux, jaugeait 25 tonneaux et navigua sur la Clyde, entre Helensborough, Greenock et Glasgow. La navigation à vapeur parut d’abord faite pour les rivières, puis pour le cabotage, plus tard pour les transports à voyageurs, tout récemment à peine pour les transports de marchandises à très grande distance. Il n’y a pas dix années que les transports à vapeur sont devenus un peu communs entre l’Europe et l’Australie, aussi bien par le Cap que par Suez. Un très grand développement de cette navigation s’effectua, vers 1820, sur les fleuves et les côtes de l’Amérique. Toute découverte se répand surtout et d’abord dans les pays où abondent l’esprit d’association et les capitaux. Le premier facteur est encore, si l’on peut dire, plus important que le second; aussi, comme rien n’y peut suppléer, y a-t-il à l’entretenir un très grand intérêt social. En 1825, on comptait aux États-Unis 150 bateaux à vapeur, dont quelques-uns de 500 chevaux; tous ensemble représentaient 16,000 tonneaux. On sait que la plus grande fortune individuelle du monde civilisé, celle des Vanderbilt, se rattache, par ses origines, aux débuts de la navigation à vapeur, le premier Vanderbilt, celui qu’on appelle le commodore, ayant gagné dans ces entreprises, alors nouvelles et audacieuses, bon nombre de millions de dollars,

La navigation à vapeur sur mer, un peu plus tardive, date de 1818. On garde encore le souvenir du navire Rob-Boy, traversant la mer d’Irlande, de Greenock à Belfast. Vers la même époque, la City of Edimburg, entre Leith et Londres, faisait d’un trait 650 kilomètres. De 1820 à 1825 s’établissaient les premiers services réguliers, reliant à travers la Manche Dieppe et Brighton ou, à travers la Mer du Nord, Rotterdam et Londres. La grande navigation s’inaugurait pour la vapeur en 18 25, par un voyage hardi qui rappelle celui de Vasco de Gama : le steamer Enterprise partit de Londres le 16 août avec 24 passagers, dont six femmes, entra le 6 octobre au