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compagnies sous le poids d’impôts écrasans, comme ceux qui existent en France sur le prix des places et les transports à grande vitesse, on obtiendrait beaucoup plus aisément de ces sociétés privées l’extension et la meilleure utilisation de leur réseau. En France, on semble s’être proposé en tout de renverser l’ordre de choses naturel. L’état donne des subventions, sous la forme d’annuités, pour la construction des voies ferrées nouvelles; il sert, en outre, des garanties d’intérêts qui montent, dans certaines années, jusqu’à 80 ou 100 millions de francs. En revanche, il perçoit des taxes extravagantes, comme les 23 1/2 pour 100 sur le prix des places : il reçoit, en définitive, à peu près autant qu’il donne; mais il se met lui-même et les compagnies dans une situation confuse, donnant d’une main, prenant de l’autre, laissant la responsabilité des travaux, et en partie de l’exploitation, indécise et flottante.

Quand on juge que l’initiative privée négligerait trop les districts pauvres, on omet une circonstance importante. L’état a, nous l’avons établi, une fonction stratégique et policière ; c’est même, avec l’organisation de la justice, le fond essentiel de sa mission; or, pour que cette fonction soit bien remplie, il faut que le pays, même dans les districts peu favorisés de la nature, soit doté, dans une certaine mesure, des organes absolument essentiels de la civilisation contemporaine, comme les routes ; qu’ils ne soient pas trop éloignés d’une ligne de fer ; mais il s’agit ici seulement de quelques rares travaux qui doivent être exécutés avec économie. Il est facile de les mettre, sans excès, à la charge des compagnies privées, comme devant être pourvus avec une partie de l’excédent des bénéfices que fournissent, en plus du taux normal dans le pays, les grandes œuvres maîtresses, toujours largement rémunératrices.

Un certain ordre d’activité de l’état profite aussi aux pays naturellement pauvres et fait qu’ils ne peuvent se plaindre d’être déshérités. J’ai dit que, parmi les devoirs qui incombent à l’état, se trouve une mission de conservation générale des conditions physiques du pays : cette mission consiste particulièrement dans l’entretien et l’amélioration des forêts et l’aménagement des eaux. Si l’état s’était toujours bien acquitté de cette tâche importante, les pays montagneux et les hauts plateaux, c’est-à-dire les contrées d’ordinaire les plus pauvres, seraient plus peuplés et plus prospères, sans qu’il fût nécessaire d’y faire beaucoup d’autres travaux publics artificiels.

Un autre reproche, parfois adressé à l’initiative privée, c’est que, fonctionnant en dehors de toute réglementation, elle constitue des monopoles particuliers intolérables. Il y a beaucoup d’exagération et une petite part de vérité dans cette assertion. Si la liberté