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Dans une moindre mesure, cette observation s’applique à la gratuité des ports. Les droits de ports, tels qu’ils sont établis en Angleterre, font que les navires étrangers, qui font escale, participent à l’entretien des travaux dont ils se servent ; ces droits empêchent ainsi l’armateur étranger de jouir d’une sorte de protection à rebours relativement à l’armateur national. En créant, en outre, une hiérarchie naturelle entre les ports, ils empêchent la dissémination des travaux sur un nombre indéfini de criques ; ils concentrent l’outillage sur les points importans où il est le plus utile à l’ensemble du pays, et préviennent le gaspillage des capitaux.

Les remarques que nous a suggérées l’accaparement des travaux publics par l’état sont vraies en principe pour tous les états sans exception ; elles ont une inégale importance pratique suivant qu’il s’agit d’états organisés d’une façon stable, avec une forte administration, tout à fait indépendante des vicissitudes électorales, comme l’état prussien, ou bien, au contraire, d’états vacillans, flottans, dépendans, assujettis dans tout leur personnel à tous les caprices des électeurs, comme les états reposant sur une base uniquement élective. Il est clair que la puissante administration prussienne, uniquement dirigée par des vues techniques et par le suprême intérêt national, sait atténuer dans une certaine mesure, sans pouvoir les faire complètement disparaître, les vices que nous venons d’énumérer; l’état purement électif, au contraire, comme l’état français, les intensifie au plus haut degré.

Une autre fâcheuse méthode de l’état français consiste dans un singulier procédé de confusion de l’action du pouvoir central et de l’action des pouvoirs locaux en matière de travaux publics.

Les localités rurales, à savoir les départemens et les petites communes, n’ayant en France que fort peu de ressources, parce que l’état accapare pour son propre compte plus de la moitié des contributions directes, il en résulte qu’elles sont dépourvues des moyens d’effectuer par leurs propres forces des travaux de quelque importance. L’état leur alloue alors des subventions pour leurs chemins, pour leurs ponts, pour leurs écoles. Ces subventions, il les faut solliciter pour les obtenir, du moins pour les obtenir vite ; même lorsque la quote-part de l’état dans ces travaux est fixée d’après une proportion connue d’avance, le délai pour l’obtention n’est pas déterminé, le classement ne se fait pas d’après l’ordre de date des demandes. Ainsi les localités, surtout les communes rurales, sont toujours transformées en solliciteuses vis-à-vis du pouvoir central. C’est un vasselage, plutôt même un servage, presque un esclavage auquel elles sont rivées. La dépendance et la servitude électorales en ressortent. Il faut que ces communes se montrent complaisantes, paient en services le pouvoir central des subventions