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dans l’établissement de chemins vicinaux parallèles ou superflus que dans la construction de voies ferrées.

A plus forte raison en est-il de même des ports et des canaux. Il est utile qu’un grand pays possède sur chaque mer un ou deux ports de premier rang parfaitement outillés ; mais la nation, considérée dans son ensemble, n’a aucun intérêt à voir se multiplier indéfiniment les petits havres insuffisamment aménagés. C’est pour elle un gaspillage à la fois de capitaux et de forces humaines, La multiplicité des ports est moins utile aujourd’hui qu’autrefois, parce que, avec le développement des voies de communication intérieure, le rôle du cabotage tend à diminuer,

La difficulté pour l’état d’apprécier exactement l’utilité des travaux publics fait qu’il a une tendance à se décider par des considérations politiques et électorales, d’où il résulte à la fois un gaspillage des deniers publics et un affaiblissement des libertés réelles et pratiques de la nation. Ce défaut est encore accru par différentes circonstances. Quand les travaux publics sont alimentés avec l’impôt ou avec l’emprunt public, qui entraîne naturellement l’impôt à sa suite, il s’établit dans la nation et chez les représentans mêmes de l’état le préjugé que toutes les parties du territoire, quelles que soient leur population, leur industrie, la richesse ou la misère de leur sol, ont un droit égal à l’exécution de ces travaux. Bien plus, il arrive même bientôt qu’on regarde comme un devoir de l’état de compenser les inégalités naturelles du relief et de la fertilité du sol en dotant avec plus de largesse certaines catégories de travaux dans les régions pauvres que dans les régions riches. Les travaux publics perdent ainsi leur caractère technique pour devenir une sorte de charité. On en trouve un exemple chez nous dans ce que l’on appelle « le fonds commun » réparti entre les départemens peu opulens. L’uniformité des travaux publics entrepris par l’état procède du même principe. Dans un pays où c’est l’initiative libre qui se charge de ces entreprises, on proportionne toujours l’instrument au résultat probable; on modifie la voie ferrée suivant le trafic espéré ; on lui donne, soit moins de largeur, soit plus de pentes et plus de courbes ; on réduit le nombre des trains jusqu’à un ou deux par jour. L’uniformité de l’administration d’état se prête mal à ces tempéramens et à ces modifications. Il a fallu tous nos embarras budgétaires pour introduire en France tardivement les chemins de fer à voie étroite[1]. De même jamais notre administration centralisée n’admet moins de trois trains par jour dans chaque sens, dussent certains de ces

  1. Une des plus grandes erreurs de l’administration en ce sens est le chemin de fer à large voie de Batna à Biskra; il suffisait de le faire à voie étroite, et, sans plus de dépense, on eût pu le pousser jusqu’à Touggourt.