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dixièmes de la planète. Encore ne disait-il pas assez : même l’usage de la bête de somme reste aujourd’hui à introduire sur des immensités de territoires beaucoup plus vastes que l’Europe. Sans remonter, certes, à l’âge de pierre, en s’en tenant à la terre habitée du XIXe siècle, les diverses phases de l’art des communications se présentent à l’observateur, qui passe d’un continent à un autre, exactement comme les flores des divers climats s’offrent successivement à l’ascensionniste dans les montagnes des tropiques. Voici d’abord l’énorme file des porteurs, chargés chacun d’une trentaine de kilogrammes sur la tête, processions interminables pour un mince bagage; les gravures des journaux géographiques illustrés ont rendu familiers ces cortèges encombrans de Stanley, de Brazza et de leurs émules. Même des pays avancés en civilisation, comme l’Annam et le Tonkin, en dehors de la zone des voies navigables, en sont encore réduits à ces pénibles et coûteux transports par les coolies. Puis vient le défilé indéfini de plusieurs milliers de mulets qui est nécessaire à la moindre de nos colonnes expéditionnaires en Tunisie et dans le sud algérien ; ensuite la lente pérégrination des pesantes et énormes voitures de roulage traînées avec des relais fréquens par cinq, six ou huit chevaux ; enfin la locomotive aux grandes roues accouplées remorquant, sans effort, sur une surface presque absolument plane et exempte de toute courbe accentuée, cinquante wagons de dix tonnes chacun. Voilà, en s’en tenant à nos connaissances actuelles, les quatre procédés, successifs pour les nations civilisées, mais simultanés encore ou juxtaposés sur la surface du globe, qui représentent les quatre phases principales de l’art des communications. Et l’on ne saurait dire lequel des progrès a été le plus efficace et le plus bienfaisant, la substitution de la bête de somme au porteur humain, ou celle de la charrette au bât de la bête de somme, ou celle toute récente du wagon sur la voie ferrée à la charrette perfectionnée. Un statisticien exact et ingénieux, M. de Foville, a calculé que le transport d’une tonne de marchandises coûte en moyenne par des porteurs humains 3 fr. 33 par kilomètre, par une bête de somme, cheval ou mulet 0 fr. 87, par le roulage ordinaire à 0 fr. 20 à 0 fr. 25, par le roulage accéléré à 0 fr. 40 à 0 fr. 45 ; enfin le tarif moyen des chemins de fer français est aujourd’hui inférieur à fr. 06. Encore ces prix, qui représentent des moyennes, ne sont-ils pas les prix extrêmes. Il est des voies ferrées en Amérique où le transport de la tonne de marchandises ne coûte que 1 centime 1/2 par kilomètre ; il est des contrées, comme naguère l’intérieur du Sénégal, avant le chemin de fer du Haut-Fleuve, où le transport d’une tonne représentait 5 et 6 francs et jusqu’à une dizaine de francs par kilomètre. C’est donc dans la proportion presque de 1 à 1,000 que varie,