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faire une pansement provisoire, arrêter une hémorragie, et placer le malheureux dans la position qui doit lui être le moins pénible. C’est ce que les brancardiers doivent apprendre, et on le leur enseigne. Des chirurgiens militaires, rompus aux multiples incidens d’un champ de bataille couvert de blessés, ont donné à cet égard des instructions précieuses. À défaut de « modèle vivant, » comme l’on dit dans les ateliers de l’École des Beaux-Arts, on se sert du mannequin pour les démonstrations ; mannequin articulé, sur les membres duquel le trajet des artères et des veines est indiqué, mannequin flexible, jusqu’à un certain point, qui permet de reproduire les diverses inflexions du corps humain et de lui donner la position la plus favorable au blessé, selon la blessure reçue. C’est, je crois, le comité de la ville de Lille qui, le premier, a inauguré ce genre d’enseignement, que l’on ne saurait trop encourager et développer, car il n’est pas de jour, en pleine paix, où la vie ouvrière n’ait à en profiter.

Le 23 septembre 1887, à Carlsruhe, j’ai assisté aux manœuvres du corps des brancardiers volontaires. Les délégués de la Croix rouge des diverses nations d’Europe, de l’Amérique et même du Japon, s’étaient réunis dans la capitale du grand-duché de Bade pour y tenir leur quatrième congrès. La France y était excellemment représentée. Je n’avais point qualité pour assister aux séances théoriques ; j’y avais été invité, mais je m’abstins d’y paraître, craignant d’avoir l’air de vouloir me faufiler parmi les personnages éminens que notre Société de secours avait délégués. On discuta des questions de règlemens et de législation internationale, auxquelles il m’eût, du reste, été impossible d’apporter quelque lumière. La Croix rouge de Bade est très complète, bien outillée, servie par un personnel exercé, très discipliné, qui obéit comme un régiment. La société secourable est l’objet des sollicitudes du grand-duc et de la grande-duchesse ; de celle-ci on peut dire qu’elle en est la grande-maîtresse ; elle ne fait, du reste, que se conformer à l’exemple que sa mère, l’impératrice Augusta, lui a donné dans le royaume de Prusse ; les blessés français qui, pendant la campagne de 1870-1871, ont été traités dans « les lazarets » sur lesquels les deux souveraines étendaient leur protection, n’ont oublié ni l’une ni l’autre. Toutes deux ont compris et ont prouvé qu’en temps de guerre le rôle de la femme est de proclamer, défaire prévaloir les droits et les devoirs de l’humanité contre les nécessités de la politique[1]. J’ai pu constater l’influence bienfaisante

  1. Sur la liste originelle des membres fondateurs et souscripteurs de la Société française de secours aux blessés militaires (1869), le premier nom que je lia est celui de la reine de Prusse, Augusta.