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combattant au nom de l’humanité méconnue par la guerre. Là on peut voir ce qu’autrefois j’ai contemplé avec tristesse dans les magasins-généraux de l’Assistance publique : des piles de béquilles, des armoires pleines de membres artificiels, des chariots mécaniques pour ceux que la blessure a paralysés. En admirant tant de prévoyance, en rendant justice au sentiment qui l’a suscitée, on ne peut s’empêcher de former un vœu : que tout cela pourrisse sur place et que la guerre n’en ait jamais besoin !

Il est relativement facile de se procurer un matériel d’ambulance assez complet pour parer à des éventualités pressantes ; ce n’est qu’une question d’argent, question que la bienfaisance des nations ne rend pas insoluble. Il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de former un personnel d’infirmerie apte à donner des soins aux blessés; là, une éducation première est indispensable; elle doit être d’une théorie très simple, car la pratique détaillée ne peut s’acquérir que par l’expérience, par le séjour dans les hôpitaux de chirurgie, par la présence dans les salles où l’on souffre. Les médecins, les chirurgiens ne feront point défaut à l’heure du péril ; ils seront là où ils doivent être, en première ligne, s’ils appartiennent au service sanitaire de l’armée ; en seconde ligne, s’ils ont adhéré à la Société de secours ; les infirmières non plus ne manqueront pas ; j’imagine que les femmes s’empresseront et se rangeront derrière les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, qui accourront les premières, si on ne les a pas encore chassées de France, comme déjà on les a expulsées des écoles et des maisons hospitalières. Sous ce rapport, la société vit en paix : elle sait que la science et la charité rivaliseront de zèle pour l’aider à remplir sa mission. Mais ces blessés, qui dans les futures batailles seront en nombre prodigieux, à cause de l’énormité des contingens et de la cruauté scientifique des armes actuelles, il faut aviser à les relever le plus tôt possible, à les transporter aux ambulances volantes et à leur épargner l’angoisse des heures d’attente sur le terrain même où ils sont tombés. Ce travail de recherche, d’enlèvement, qui doit être fait avec aplomb et rapidité, est l’œuvre des brancardiers; c’est d’eux, de leur énergie, de leur perspicacité, de leur adresse, que peuvent dépendre le salut et l’existence de bien des malheureux.

On s’est donc ingénié à former un corps de brancardiers qui auraient pour mission de recueillir, après le combat, pendant le combat s’il se peut, la sanglante moisson que la guerre a fauchée. Même en cas de retraite, en cas de déroute, ils peuvent accomplir leur devoir sacré, car la croix rouge les protège et permet qu’ils ne soient point inquiétés à leur poste d’honneur. Il ne suffit pas de ramasser un blessé, de le coucher sur un brancard et de l’emporter ; il faut le saisir sans rendre sa souffrance plus aiguë, savoir