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qui oblitérait l’entrée de la rue Rivoli. Les obus ne respectaient point la Croix rouge, la position n’était plus tenable, il fallait évacuer les blessés et les transférer dans le Palais de l’Industrie, dont les fortes murailles pouvaient les protéger contre les projectiles. Ce fut le docteur Chenu qui présida au sauvetage. Faisant réunir les voitures, en garnissant les parois à l’aide de matelas, il les disposa de façon à former une rue entre l’ambulance et le Palais ; c’est par là que l’on passa malgré la fusillade qui se rapprochait : 548 blessés furent enlevés; les infirmiers s’y dévouèrent et les infirmières aussi, femmes du monde qui n’avaient point déserté le poste que leur grand cœur avait sollicité et qui furent surhumaines en remplissant leur devoir d’humanité[1]. Elles y eurent du mérite ; le transbordement ne fut point sans péril ; cinq infirmiers furent atteints par les obus, dont deux si gravement qu’une amputation immédiate fut nécessaire. Au soir de cette journée, le 26e bataillon de chasseurs à pied, commandé par le marquis de Sigoyer, était maître du Palais de l’Industrie ; la Société de secours aux blessés était enfin au pouvoir de l’armée de la France.

Pendant que le comte de Beau fort et le docteur Chenu se multipliaient à Paris, les membres du conseil retirés à Versailles ne restaient pas oisifs. Entrés en relation avec le comité de Seine-et-Oise, ils avaient organisé 21 ambulances sur la rive gauche de la Seine, de la Bièvre à Viroflay et sur tous les points où l’on pouvait porter secours aux troupes qui assiégeaient Paris. En outre, on fit construire à La Grande-Gerbe, dans le parc réservé de Saint-Cloud, une ambulance modèle où l’on put admettre un grand nombre de blessés qui, placés dans des conditions d’aération exceptionnellement favorables, guérirent avec une promptitude extraordinaire. Les services rendus par la Société française de secours aux blessés des armées de terre et de mer furent appréciés en haut lieu ; les lettres de M. Thiers, du général de Cissey au comte de Flavigny, celle du maréchal Mac-Mahon au docteur Chenu, en font foi et sont des titres de noblesse dont on peut être fier.

Le 5 juin, tous les membres du conseil, enfin réunis, purent tenir séance dans Paris délivré ; la besogne ne chôma pas, car de nouveaux soucis leur incombèrent que rechercha leur amour du bien. Parmi les prisonniers qu’avait détenus l’Allemagne à la suite

  1. Quelques dames ayant demandé si elles devaient continuer leur service pendant la commune, le comte de Beaufort répondit à Mme Carré de Chauffour, de Sédaiges et Dehorter : « Vous m’avez fait l’honneur de me demander si vous devez continuer à être dames infirmières. Rester à votre poste, c’est prouver que votre charité domine votre amour-propre et méprise le danger, s’inspirant de l’amour divin. Permettez-moi d’ajouter que votre présence ici honore celui qui s’estime heureux de représenter, dans ces temps difficiles, le conseil absent.