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pour les jours de bataille, deux voitures partaient chaque matin, visitaient les forts et y recueillaient les blessés de la veille. On peut affirmer qu’à Paris la Société de secours fut l’âme même de la défense contre la mort qu’apportaient les combats et que prodiguaient la variole, la fièvre, la température, la misère, la faim, qui furent plus inclémentes que l’ennemi.


V. — LES TOMBES DE LA CAPTIVITÉ.

Le dernier coup de canon échangé à minuit, le 26 janvier 1871, entre nos remparts et les batteries allemandes, ne mit pas fin au rôle de la Société de secours; mais son œuvre immédiate, pour la campagne de 1870-1871, était terminée; l’effort avait répondu aux nécessités, et l’improvisation avait été presque aussi rapide que les événemens ; à force d’énergie et de dévoûment, l’on avait réparé les fautes de notre insouciance, et l’on s’était montré à la hauteur de l’infortune qui nous étreignait. On pouvait croire qu’à la fin de la guerre, les grands périls étaient conjurés, et qu’après une continuité d’action si pénible, on allait entrer dans une période de calme relatif; on avait compté sans l’envie, l’alcoolisme, la haine, le crime et le dédain de la patrie. La France agonisait, écrasée pour avoir poussé le sentiment du devoir aux limites extrêmes ; il se rencontra des scélérats qui trouvèrent l’occasion propice pour la mettre à mort. On sait ce que fut la commune, qui débuta sur les buttes Montmartre par l’assassinat de deux généraux, et se termina par l’incendie de Paris éclairant regorgement des prêtres, des magistrats et des gendarmes. Pendant cette orgie de bêtise, de meurtre et de pétrole, la Société de secours n’abandonna point son poste d’élection. Dans ses ambulances, restées fidèles aux principes de la Croix rouge, elle reçut, elle soigna les soldats de la barbarie et ceux de la civilisation, semblable à une créature d’élite dont l’intelligence compatissante plane au-dessus des misères humaines. Mal lui en advint, elle y faillit périr.

Tout alla sans trop de difficultés pendant les premières semaines qui suivirent la journée du 18 mars; mais, dès le commencement d’avril, la Société sentit qu’elle n’était plus en sécurité; on dénonçait son attitude, on lui reprochait d’avoir des sœurs de charité pour infirmières, et on l’accusait d’être « versaillaise, » ce qui était la grosse injure du moment. La Société feignit de ne s’en point préoccuper, et le conseil continuait à siéger, sous la présidence du comte de Flavigny, qui, depuis la déclaration de guerre à l’Allemagne, était resté en permanence à son poste, et que nulle fatigue n’avait lassé. Les rumeurs de mauvais augure dont la presse communarde se faisait l’écho n’avaient découragé personne, et les