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exagération, qu’elle n’existait plus quand elle fut adoptée ; toute l’économie en avait été bouleversée par les amendemens qui neutralisèrent le projet primitif. Au cours de la discussion, deux paroles furent prononcées qu’il est bon de retenir ; elles dévoilent l’incomparable légèreté qui nous guide jusque dans les questions où il s’agit de vie et de mort pour le pays ; car je me refuse à croire que, — comme on l’a prétendu, — la crainte de fortifier le pouvoir impérial ait été le mobile d’un vote à jamais regrettable. Un orateur a dit : « En admettant que nous éprouvions un échec lors de nos premières rencontres, nous aurons toujours deux ou trois mois devant nous pour former les cohortes. » Un député alla plus loin et ne craignit pas de dire : « Deux mois avant la guerre, prévenez-nous, et nous vous donnerons 2 millions d’hommes, s’il le faut ! » O sancta sîmplicitas ! disait Jean Hus du haut de son bûcher.

Le même Corps législatif, qui avait refusé à la France les moyens de faire face à un péril prévu, repoussa tout conseil de sagesse lorsque se produisit l’incident Hohenzollern: on se précipita vers la guerre avec une superbe que l’événement ne justifia pas. Si l’armée, d’où allait dépendre le salut de la patrie, était condamnée à se présenter devant l’ennemi dans des conditions numériques qui rendaient la victoire plus qu’incertaine, on peut juger que la Société de secours aux blessés n’était point prête à fonctionner. Quoique existant de fait et sur le papier, comme l’on dit, elle n’avait, au mois de juillet 1870, ni organisation régulière, ni personnel, ni matériel. Ses ressources pécuniaires ne s’élevaient qu’à la somme dérisoire de 5,325 fr. 50. Croyait-on alors qu’elle pût sérieusement venir en aide aux services sanitaires des troupes en campagne? C’est douteux. L’intendance et le corps médical militaire en parlaient avec dédain, et se réservaient de la tenir à telle distance qu’elle ne pût jamais apparaître autour des champs de bataille. Non-seulement on semblait résolu à écarter l’ingérence de l’élément civil, mais on se gaussait volontiers de la convention de Genève, que l’on considérait comme une billevesée humanitaire bonne à servir de thème à quelques bavards. Le signe de sauvegarde, — la croix rouge, — paraissait un emblème sans valeur : « Est-ce que nous avons eu besoin de cela en Crimée et en Italie? » Les fourgons d’ambulance n’arborèrent point l’étendard, les officiers du service sanitaire n’adoptèrent point le brassard : à quoi bon ces enfantillages? Mal leur en advint. Au soir de la bataille de Woerth, les aides-majors et les infirmiers faits prisonniers par l’ennemi comprirent que les signes extérieurs ne sont point toujours inutiles. On les relâcha, mais après quelques bourrades qui leur firent apprécier les mérites de la croix rouge.

En 1870, la Société française de secours aux blessés n’était guère