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ministre de la guerre, le général Cassola, a légué le compromettant héritage, qui n’ont cessé depuis de peser sur le ministère, sans que le ministère ait osé jamais se décider à les accepter ou à les désavouer. Aujourd’hui, la question s’est produite sous une forme singulière. Les uns ne demandaient rien moins que de réaliser ces réformes par une série de décrets ; les autres ont naturellement protesté contre cette sorte de coup d’état, et ont demandé que la question fût réservée aux Certes, seules appelées à se prononcer sur des réformes qui soulèvent d’ailleurs de vives résistances dans une partie de l’armée. Encore une fois le président du conseil est intervenu. M. Sagasta est un temporisateur qui sait se servir de tout. Il a temporisé, il a ajourné les conseils pour laisser le feu des discussions s’apaiser ; puis il a fini par obtenir que la question fût réservée aux Cortès, en promettant de proposer à la fois aux chambres et les réformes militaires et la grande réforme du suffrage universel. C’est peut-être moins une solution qu’un expédient de plus.

Le malheur est en effet qu’il est bien tard aujourd’hui pour se relever par quelque grande résolution, que, depuis trois ans, M. Sagasta, chef du premier ministère de la régence, a reproduit sans cesse les mêmes procédés, qu’il a épuisé et usé le crédit que tous les partis lui ont libéralement ouvert. A quoi est-il arrivé ? Il a compromis peut-être, par trop d’abandon, par un assez faux libéralisme, la force et l’autorité du gouvernement ; il a laissé se développer une situation qui n’a encore sans doute rien de révolutionnaire, qui est pourtant assez extraordinaire, puisque des faits réellement étranges ont pu récemment se produire. L’autre jour l’infante Isabelle, se rendant à l’exposition de Barcelone, a pu être insultée à son passage à Calatayud, sans qu’aucune précaution ait été prise pour sa sûreté. Tout dernièrement un homme qui n’inspire que de l’estime et des sympathies, même à ses adversaires, le chef du parti conservateur, M. Canovas del Castillo, a pu être exposé à d’indignes outrages qui n’ont été que tardivement réprimés. Cela s’est passé à Saragosse. C’est évidemment une situation affaiblie qui commence à exciter les espérances de tous les révolutionnaires occupés à renouer leurs conspirations. Il est assez vraisemblable désormais que les conservateurs, conduits par M. Canovas del Castillo, après avoir évité depuis trois ans d’embarrasser de leur opposition le ministère de M. Sagasta, vont reprendre leur liberté et leur indépendance. Entre les partis, une lutte décisive s’engagera sans doute. C’est justement ce qui fait la gravité de la situation à la veille de l’ouverture prochaine du parlement de l’Espagne.

CH. DE MAZADE.