Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Chypre, qui campe encore en Égypte ? Les Espagnols ne sont pas assez naïfs pour donner dans cette diplomatie et jouer le jeu des autres ; ils comprennent tous, sans distinction de parti, que ce qu’il y a de mieux, c’est de rester étrangers à de vaines querelles, de garder une libre et indépendante neutralité. Ils ont été conduits par la raison, par la clairvoyance, à cette politique extérieure simple et sensée qui est devenue à peu près la politique de tous les cabinets ; ils ont aussi bien assez, il faut l’avouer, de leurs affaires intérieures, de leurs divisions implacables, de leurs incohérences de parti, de leurs crises ministérielles, quelquefois ajournées et toujours menaçantes, de leurs agitations qu’on croyait à demi apaisées, qui semblent aujourd’hui renaître plus que jamais à l’approche d’une session visiblement chargée d’orages.

Les vacances ont été une trêve dont tout le monde a profité au-delà des Pyrénées, les uns pour aller passer la saison à Saint-Sébastien et sur la côte basque, auprès de la reine régente, les autres pour voyager à l’étranger, ceux-ci pour aller se reposer dans leurs provinces, ceux-là pour aller faire honneur à l’exposition de Barcelone. Maintenant la trêve est finie ou peu s’en faut. La reine régente est rentrée à Madrid, accompagnée de ses ministres, bientôt suivie de quelques-uns des principaux personnages publics. La vie politique renaît plus ou moins en attendant la réunion des chambres, et sans attendre même ce moment où se vident toutes les querelles, la crise n’a pas tardé à éclater dans l’intérieur du ministère présidé par M. Sagasta. A vrai dire, cette crise, elle n’a peut-être jamais cessé depuis que le cabinet existe, parce qu’elle est dans la nature des choses, parce qu’elle tient à la composition même de ce ministère de fusion formé de constitutionnels modérés et de libéraux avancés ou démocrates dynastiques réunis sous l’autorité conciliatrice et médiatrice du président du conseil. Les libéraux avancés veulent accélérer la marche, hâter la réalisation des réformes qu’ils ont promises ; les constitutionnels modérés s’efforcent de ralentir un mouvement dont ils sentent les dangereuses conséquences:entre les deux camps, M. Sagasta est intervenu plus d’une fois pour remettre un peu d’ordre dans son cabinet; et quand il a été à bout de diplomatie, il s’en est tiré en remaniant son ministère, en se séparant de quelques-uns de ses collègues les plus impatiens ou les plus compromettans. C’est un peu l’histoire d’un ministère qu’on modifie sans cesse et qui reste toujours le même. La tactique a réussi jusqu’à présent. Récemment la lutte s’est engagée plus vivement à l’occasion des réformes militaires, des réformes politiques et civiles qui doivent être proposées par le gouvernement. On a bataillé sur un programme, et ce qui a visiblement tout compliqué, c’est l’importance prise par des réformes militaires dont un ancien