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cultivé, éclairé, un très digne représentant de la noblesse de Bohême. Il a un frère archevêque de Prague ; il est lui-même membre de la chambre des seigneurs, et il était récemment encore gouverneur de la Moravie. Il a écrit quelques brochures qui n’ont pas été sans retentissement, une entre autres, Bohême et Aulriche, qui est un chaleureux plaidoyer pour les droits historiques de la Bohême. C’est un des chefs distingués et actifs du parti tchèque. Son arrivée aux affaires pourrait être plus qu’un simple incident de la vie ministérielle ; elle pourrait être un événement ou le prélude d’événemens de quelque importance, et déjà même on a commencé à considérer comme une éventualité qui n’aurait plus rien d’invraisemblable le couronnement prochain de l’empereur François-Joseph comme roi de Bohême, comme héritier de la couronne de Saint-Wenceslas. Ce serait un pas de plus dans la voie du fédéralisme. Ce serait un succès signalé pour la politique des nationalités dans l’empire, et une menace pour le dualisme qui a fait jusqu’ici des Hongrois et des Allemands les maîtres de la direction de l’empire.

Ces derniers changemens semblent sans doute faits pour encourager les Tchèques dans leurs revendications et pour leur présager le succès. Cela ne se fera pas tout seul, cependant. Ce qui sera fait pour les Tchèques rencontrera l’opposition non-seulement des Allemands, mais des Hongrois, très jaloux de leurs droits, très peu préoccupés des droits des autres nationalités, et très disposés aussi à considérer comme un monopole légitime et exclusif la position privilégiée qu’ils ont conquise dans l’empire. Ils en sont déjà presque à signaler comme une provocation pour la Hongrie l’adoption d’une politique tchèque par le cabinet du comte Taaffe. Les Hongrois, on le conçoit, ne peuvent voir sans une secrète amertume et sans quelque défiance l’arrivée au ministère cisleithan d’un homme, le comte Schœnborn, qui s’est élevé un jour avec une si virulente éloquence contre « le régime, — le régime du dualisme, — qui contraint les vieux soldats de l’armée autrichienne à traiter de camarades les prétoriens de Kossuth ! » Il faut s’attendre à bien des conflits passionnés, à des luttes ardentes et compliquées. Ce n’est même pas tout encore. Les Tchèques, qui sont les premiers en cause pour le moment, ne sont pas seuls dans l’empire. Après eux, quand on aura comblé leurs vœux, il y aura d’autres nationalités, d’autres Slaves qui réclameront à leur tour, qui voudront avoir leur couronnement, leur autonomie plus étendue, mieux garantie. Les difficultés renaîtront, c’est inévitable. Ces luttes et ces incohérences, il est vrai, n’ont rien de nouveau pour l’Autriche, depuis longtemps accoutumée à vivre au milieu de ces antagonismes de races auxquels elle a dû quelquefois son salut. Une dernière question enfin, — et ce n’est pas la moins grave, — serait de savoir dans quelle mesure la politique de fédéralisme, de concession