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la plus sérieuse, du moins la plus brillante partie de son programme de voyages, celle qui promettait le plus d’ovations et de fêtes, le plus de myrrhe et d’encens. A Rome, qui reste avec Naples la dernière étape de ses récentes courses, une réception extraordinaire l’attendait. Les Romains avaient eu même la galanterie d’essayer de masquer leurs ruines pour ne pas offenser le regard d’un jeune souverain. Ils ont décoré, pavoisé, illuminé. Ils ont inscrit sur des tables de marbre la date de la visite du moderne César au Capitole. Fêtes, galas, revues se sont succédé. Le roi Humbert a reçu son hôte impérial avec une courtoisie passionnée, mêlée d’une modestie conforme à la circonstance. M. Crispi a triomphé, suivant avec complaisance cet étonnant spectacle d’un César germanique allié ou protecteur de l’Italie à Rome. Et s’il y a eu à travers tout quelque petite manifestation d’une origine inconnue, d’une forme un peu puérile, essayant de troubler la fête, c’était sans importance. Tout était à la joie. A Naples, les ovations sont devenues de l’ivresse : l’exubérance napolitaine a suivi l’empereur Guillaume presque jusque sur la flotte qu’il allait voir manœuvrer et passer en revue. Les Napolitains ont, dans ces circonstances, l’avantage et l’agrément de se fêter eux-mêmes pour le moins autant qu’ils fêtent ceux qu’ils reçoivent.

Ce qu’il y a de plus curieux, de plus difficile à saisir aussi sans doute, c’est l’attitude réelle du principal personnage, de l’empereur Guillaume lui-même au milieu de toutes ces manifestations organisées pour lui ou autour de lui. Évidemment, il s’est prêté à tout, autant que le lui permettait son caractère peu porté à condescendre aux familiarités populaires, et il a paru du moins tenir à charmer les Italiens par la variété de ses uniformes. Il a épuisé pour leur plaire toutes les couleurs ; il a paru tour à tour en cuirassier blanc, en hussard rouge, en hussard noir, en général, en amiral. Il doit y avoir quelque profonde combinaison d’étiquette dans cette succession d’uniformes dont les imaginations italiennes n’ont pu qu’être flattées et émerveillées, à moins que ce ne soit tout simplement une fantaisie de jeune homme. L’empereur Guillaume ne paraît pas avoir été prodigue de paroles, du moins de ces paroles qu’on répète pour populariser celui qui les aurait prononcées. Il n’a pas fait de discours, il a entendu des allocutions sans rien dire. Il a simplement répondu, dans un banquet du Quirinal, à un toast du roi Humbert, en mêlant peut-être sans le vouloir à ses effusions affectueuses une nuance légère de supériorité impériale et protectrice. Il a réservé ses plus chaudes accolades à M. Crispi, comme au meilleur de ses amis, et il a certainement fait tout ce qu’il fallait pour le capter. Il ne semble pas avoir prodigué ses attentions et ses égards à d’autres personnages, même aux présidens du sénat et de la chambre des députés, qui se sont trouvés un peu effacés, un peu humiliés dans leurs fonctions.