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d’hui sans l’avoir jamais respectée ni exécutée fidèlement, et la crise profonde, indéfinissable, irritante où la France se débat depuis quelque temps ? Si le pays est mécontent et dégoûté, s’il est fatigué de ne voir que des déficits croissaas dans son budget, des corruptions et des désordres dans son administration, s’il en a assez des dépenses ruineuses, des menaces de nouveaux impôts, des propagandes anarchiques et des grèves meurtrières qui l’épuisent, est-ce que c’est la faute de la constitution ? Est-ce que la constitution y est pour rien ? La seule et vraie coupable est cette politique qui règne depuis dix ans, qui a fait cette situation où la France se sent exposée à toutes les aventures, sans garanties dans sa vie intérieure, sans fixité possible dans ses rapports extérieurs. Et quand on réformerait la constitution, qu’en serait-il de plus, si la politique reste la même ? Eh bien ! c’est toute la question. Cette politique, qui est la vraie coupable, est-on décidé à la répudier, à la modifier dans l’intérêt de la France ? On est si peu disposé à ces résolutions salutaires, qu’on ne veut pas même convenir du mal qui a été fait et avouer qu’on s’est trompé depuis dix ans. La discussion du budget s’est ouverte récemment : elle a été éclairée par des discours instructifs, décisifs, de M. Daynaud, de M. Amagat, de M. d’Aillières. M. le rapporteur général Jules Roche est intervenu à son tour pour la majorité républicaine, et, dans un discours qui n’est pas sans éloquence, il a montré autant d’impartialité qu’il le pouvait ; il a eu toute sorte d’explications ; il n’a pu se résoudre à reconnaître qu’on s’était trompé, que le moment était venu de s’arrêter, d’avouer la pensée et la volonté d’une politique nouvelle. C’est le nœud de la situation. Tant qu’on en sera là, tant qu’une initiative hardie et généreuse ne se manifestera pas, la France est exposée à rester la victime des partis impuissans, en attendant peut-être de devenir la dupe d’aventures nouvelles.

Depuis que l’empereur Guillaume II d’Allemagne est parti pour ses tournées, occupant l’Europe de ses voyages, de ses actions, on a pu le suivre sur tous les théâtres, dans les grandes et les petites couis, dans les parades militaires et dans les galas, à Vienne, à Munich, à Rome, à Naples. Il est bien clair que ce jeune souverain fait consciencieusement son métier, qu’il ne se ménage pas, que se sentant toujours en représentation, il tient à rester le personnage de son état. Il a besoin de s’agiter, de s’essayer à toutes les parties de son rôle. Ces jours derniers, recevant les délégués de ses bons Berlinois qui lui portaient leurs complimens sur son retour et qu’il a vertement morigénés pour une chose qui ne les regardait pas, il leur a dit qu’il voyageait pour l’intérêt de l’état, pour le service de l’empire. C’était évidemment sa pensée. Les voyages sont dans le service de l’empire. Ils sont aussi quelquefois un spectacle instructif, intéressant et même peut-être piquant pour l’Europe. Guillaume II a exécuté, sinon la principale,