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par les tyrannies vulgaires, et, si l’on veut, le besoin maladif de sortir à tout prix, on ne sait comment, on ne sait par qui, d’une crise devenue insupportable. Puis, quand on s’est trouvé en face de cette situation qu’on avait obstinément et aveuglément créée, quand on n’a plus su que faire, est venu le mot des derniers hasards que tous les partis se sont mis à se disputer : ce doit être la faute de la constitution, il n’y a qu’à reviser la constitution ! Et comme le ministère radical qui règne aujourd’hui n’entend pas se laisser devancer par d’autres dès qu’il y a quelque faute à commettre, quelque destruction nouvelle à préparer, M. le président du conseil s’est hâté, sans plus de retard, d’ouvrir récemment la session extraordinaire par un grand projet de revision. Il déploie un programme aussi confus et aussi prétentieux que frivole, où il est démontré que le pays a la passion de la revision, qu’il faudra diminuer les pouvoirs visiblement trop étendus de M. le président de la république, qu’un sénat réduit à un rôle consultatif serait très suffisant, que rien ne doit gêner l’omnipotence de la chambre, qu’un système créant l’inamovibilité ministérielle ne serait pas non plus trop mal. Et pour tout cela M. Floquet, avec un merveilleux à-propos, cite M. de Tocqueville, comme la jeune sous —préfète du Monde où l’on s’ennuie, — et tout aussi sérieusement ! C’est la première fois, sans aucun doute, qu’un gouvernement procède avec ce sans-façon à l’é’gard d’une constitution dont il a la garde, qu’il livre de son propre mouvement les institutions, sans s’apercevoir que dès ce jour-là tout est mis en doute, qu’il n’y a plus rien. Oh ! sûrement, ce n’est pas M. Floquet qui donne l’exemple de « s’enfermer, comme il le dit, dans la constitution existante comme dans une place forte qui défie la puissance des asgaillans. » Il fait mieux, il commence par livrer la place ; c’est lui qui ouvre la brèche : y passera maintenant qui pourra ou qui voudra ! Voilà une singulière manière d’inaugurer une session et de préparer des travaux sérieux, surtout utiles, à un parlement qui n’a pas encore voté le budget !

Ce qui est curieux, c’est l’espèce de confusion ou d’équivoque qu’il y a dans toutes ces manifestations, dans toutes ces démonstrations du moment en faveur de la revision de la constitution. C’est un fait reconnu, avéré, constaté, tous les partis le proclament, M. le président du conseil le confirme et l’assure : le pays réclame la revision, l’opinion est révisionniste ! On dirait que c’est désormais entendu, que tout le mal est dans la constitution, que le vrai et unique remède, celui qui guérit, est dans la revision ! Quelle sera la revision ? C’est une autre affaire, on verra plus tard si on va jusque-là. En attendant, la revision est un programme, le programme du jour. C’est une pure et simple jonglerie de l’esprit de parti. C’est jouer avec tout, se moquer de tout et tout confondre. Quel rapport réel, direct, y a-t-il entre cette malheureuse constitution qu’on propose de reviser aujour-