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ne soient ni moins « abstruses, » ni moins « absconses » que d’autres. Alors pourquoi n’en sont-ils plus? Je les y remets, — au nom du besoin que j’en ai...

Et je lisais encore le Thé chez Miranda, de M. Paul Adam, je lisais les Derniers Songes, de M. Francis Poictevin, je lisais la Vogue, la Revue wagnérienne, la Revue indépendante les Hommes du jour, enfin tous les recueils que ces messieurs écrivent « en clair, » avec les mots de la langue ordinaire et de l’usage commun, pour s’encourager, se convaincre, et se congratuler entre eux. Mais j’attendais toujours, et, en vérité, je séchais de ne pas voir venir le chef-d’œuvre qu’on m’avait promis. Il n’est pas encore venu. « Les très nombreuses et incessantes polémiques que suscitèrent depuis trois ans les manifestations du groupe symboliste rappellent les grandes luttes qui, en ce siècle, signalèrent l’essor du romantisme et du naturalisme. » Ainsi s’exprimait, tout récemment, l’auteur d’un Petit Glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadens; et il n’oubliait qu’un point : c’est que les Jean Moréas ou les Francis Poictevin n’ont pas encore écrit leur Madame Bovary, ou seulement leur Assommoir, les Verlaine et les Mallarmé leurs Orientales ou leur Cromwell. Le Code ne condamne point les crimes en idée, ceux qui n’ont pas au moins reçu, selon ses propres termes, « un commencement d’exécution ; » — et il semble que la critique ne saurait s’occuper des « évolutions » ou des « révolutions » auxquelles, comme à la symbolique ou symboliste, il ne manque, pour être intéressantes, que d’avoir eu lieu.

Elle aurait tort pourtant, et les Décadens en sont la preuve. Sans avoir, En effet, rien produit, j’entends rien de considérable, rien qui vaille la peine d’être étudié pour soi-même, ils ont exercé, ils exercent encore, sur toute une portion de la jeunesse contemporaine, une réelle influence. On croit en eux, — ce qui est d’autant plus remarquable qu’ils n’ont pas l’air d’y croire eux-mêmes, — on trouve en eux des «effets, » des et beautés, » des « profondeurs, » que n’ont point tous les autres; et je me suis laissé conter que, dans le lourd silence de l’étude du soir, après ceux de Baudelaire, ce sont aujourd’hui des vers comme ceux-ci qui charment nos rhétoriciens :


Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme
Et comme un soldat répand son sang pour la patrie,
Je voudrais pouvoir mettre mon cœur avec mon âme
Dans un beau; cantique à la sainte Vierge Marie.

Mais je suis, hélas ! un pauvre pécheur trop indigne,
Ma voix hurlerait parmi le chœur des voix des justes :
Ivre encore du vin amer de la terrestre vigne,
Elle pourrait offenser des oreilles augustes.

PAUL VERLAINE (Amour).