Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sujet des prairies. Les rares colons qu’il rencontrait et interrogeait le tenaient pour fou, ne comprenant pas ce qu’il cherchait et à quoi il en avait Ce fut à la résidence du gouverneur Shelby, dans le Kentucky, qu’il vit enfin quelqu’un qui lui confirma l’existence des prairies. Ce voyageur était le frère même du gouverneur ; il arrivait du Mississipi supérieur, après avoir traversé les plaines de l’Illinois. Les détails précis qu’il donna à George Flower, ses indications sur la route à suivre, sur l’étendue, en apparence illimitée, de cette région qu’il n’avait fait qu’entrevoir, levèrent tous les doutes de l’explorateur. Convaincu qu’il n’était pas la dupe d’une histoire inventée à plaisir, que les prairies existaient, il se hâta d’en aviser son ami, M. Birkbeck, et accepta la cordiale invitation de M. Jefferson, pour lequel il avait une lettre d’introduction, et qui le pressait de le venir voir à sa résidence de Poplar-Forest, en Virginie. Pour s’y rendre, il eut encore 1,200 kilomètres à faire à cheval, mais là, du moins, il put attendre et se reposer.

Chemin faisant, à Nashville, il rencontra le général Andrew Jackson, et nous a laissé un curieux portrait du héros de la Nouvelle-Orléans : « Il était grand, écrit-il, maigre et mal bâti, le teint bronzé, les traits fortement accentués, la barbe grise, l’œil vif et brillant. Jackson, ajoute-t-il, était passionné pour les courses ; il engagea son meilleur cheval contre celui d’un fermier et perdit. On ne peut s’imaginer parieur plus enragé; il tenait tous les enjeux, il gesticulait, criait, jurait, se démenait comme un possédé. Si l’on m’eût dit alors que le fou furieux que je voyais deviendrait un jour président des États-Unis, j’aurais tenu le fait pour des plus invraisemblables. »

Après quelques mois de repos dans la résidence de l’ex-président Jefferson, résidence qui lui rappelait, dit-il, un château de France, avec ses chambres octogonales, ses portes de chêne, ses hauts plafonds et ses vastes miroirs, il reçut enfin avis de l’arrivée prochaine de Morris Birkbeck. Ce dernier le rejoignait en effet, amenant avec lui un important convoi d’approvisionnemens, ses deux filles, leur compagne, miss Andrews, et ses serviteurs, une douzaine de personnes. Ce n’était pas chose facile de transporter tout ce monde dans la région encore éloignée des prairies, mais George Flower avait médité les théories des Pilgrim Fathers ; il avait lu leurs récits et en avait retenu l’axiome bien connu dans le far-west : « Loin d’être un obstacle pour les pionniers, la présence, l’aide matérielle et morale des femmes et des enfans leur est utile, en les obligeant à redoubler de vigilance et de prudence, en les mettant dans l’impossibilité de reculer, et en leur imposant le devoir de veiller sur ces êtres plus faibles. »

L’expérience prouva une fois de plus la sagesse des premiers