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A la sollicitation de J. Bright, alors son allié politique, plus tard son confident et son ami, Richard Cobden exposa à plusieurs reprises ses vues dans des meetings publics. Sa parole émue, claire, convaincante, parce qu’elle était convaincue, impressionna vivement ses auditeurs. L’un de ses adversaires, qui l’entendit à cette époque, résumait son impression en ces mots, qui sont le plus complet éloge d’un orateur : « Je tremble toujours quand Cobden prend la parole. Je sais qu’il va me persuader que j’ai tort et qu’il a raison, et personne n’aime cela. »

Ses rêves humanitaires de paix universelle ne l’absorbaient pourtant pas au point de détourner son attention de réformes aussi urgentes et plus pratiques. Son cœur souffrait du pénible contraste qu’offraient alors la prospérité commerciale de son pays et la misère des classes ouvrières. Ce contraste déconcertait sa logique ; il en recherchait les causes, complétant par des études approfondies une instruction première insuffisante. Conséquent avec les idées développées par lui dans sa brochure, il attribuait une partie des maux dont souffrait l’Angleterre à son incessante intervention dans les affaires du continent, intervention qui épuisait son trésor, sans profit pour le bien-être du peuple. Il attribuait le reste au régime protectionniste, qui enrichissait la bourgeoisie et les propriétaires au détriment des masses. « On devait, disait-il, l’impôt à l’état; on ne le devait pas à ses compatriotes. » N’était-ce pas un impôt prélevé sur la masse des consommateurs, cette échelle mobile de droits qui contraignait le pauvre à payer le pain plus cher pour assurer au propriétaire et au fermier un écoulement rémunérateur de leurs produits ? « Quel droit ceux qui possèdent et ceux qui labourent le sol ont-ils de taxer le pain, la viande de toute une population pour leur propre bénéfice? »

Au moment où il entreprit cette campagne fameuse qui devait aboutir au rappel de la loi des céréales, le blé était abondant et à bon marché en Europe et aux États-Unis, et le pain plus cher que jamais en Angleterre. Tout absorbé par son idée, il s’en fut trouver J. Bright pour réclamer son concours dans la lutte qu’il allait engager. Il le trouva atterré par la mort de sa femme, qui venait d’expirer le jour même. Alors, entre ces deux hommes, eut lieu une scène caractéristique qui peint bien le self control et les facultés d’endurance de la race. Pour consoler son ami, Cobden trouva des paroles émues, pleurant avec lui celle pour laquelle il professait lui-même une respectueuse affection ; mais peu à peu, dominé par son idée fixe : « Vous n’êtes pas seul malheureux, ni seul affligé. En ce moment, dans des milliers de demeures, des mères, des femmes, des enfans souffrent des angoisses de la faim, attendant