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et « s’il n’eut pas, comme le dit M. Bright, son ami, les avantages qui résultent d’une éducation universitaire, il n’eut pas non plus à pâtir de quelques-uns des désavantages que cette éducation comporte. »

En ces quelques mots incisifs, John Bright formulait, aux applaudissemens de ses auditeurs, l’une des critiques les plus sérieuses que l’on soit en droit de diriger contre les grandes universités anglaises, ces clubs de jeunes gens nobles, à tout le moins riches, autour desquels gravitent des boursiers pauvres en quête d’un patron puissant, serres chaudes où fleurissaient alors cet esprit valet, cette adoration de l’argent, si bien décrits par William Thackeray dans son roman d’Arthur Pendennis.

A dix ans, Richard Cobden fut mis dans une de ces misérables petites écoles que Dickens a merveilleusement peintes dans Nicolas Nickleby. Il y passa cinq années, mal nourri, mal traité, loin des siens, sans affection et sans soins. Cette période de sa vie lui laissa les plus tristes souvenirs, et, depuis, il a maintes fois répété que ni la fortune ni le succès ne purent jamais effacer ces premières impressions, et qu’il lui en resta un fonds de tristesse et de mélancolie qui assombrit le reste de sa vie. A quinze ans, il entra, en qualité de commis, dans le magasin d’un de ses oncles à Londres. L’existence y était rude, le travail excessif; mais après l’épreuve qu’il venait de traverser, cette condition lui parut tolérable. Son modeste salaire suffisait à ses besoins et, sur ses économies, il prélevait encore de quoi acheter quelques livres qu’il dévorait. Puis, Londres avec son incessante agitation, sa puissante activité commerciale passionnait son imagination. La grande ville était pour lui un livre aux pages toujours ouvertes et toujours nouvelles.

Son assiduité au travail et son intelligence lui valurent d’être promu au poste de commis voyageur. C’était en 1826. Libre de ses mouvemens, pourvu d’une carriole et d’un cheval, il parcourut l’Angleterre, sollicitant des ordres, faisant l’article, visitant les localités, récoltant, chemin faisant, des renseignemens utiles, complétant son éducation par l’étude des monumens, des musées, aussi bien que des filatures et des marchés. Il gagnait suffisamment déjà pour venir en aide à sa mère et à sa nombreuse famille. A vingt-quatre ans, s’estimant assez au courant des affaires pour s’établir à son compte, il s’associait avec deux de ses amis employés comme lui au commerce des cotonnades. Leurs économies s’élevaient à 500 livres sterling (12,500 francs); ils négocièrent un emprunt de même somme, et Richard Cobden s’en fut à Manchester s’aboucher avec une fabrique de cette ville. Son intelligence et sa franchise lui gagnèrent la sympathie d’un grand manufacturier, qui ouvrit à