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William Bass cherchait, sans y réussir, à se faire une place sur le marché anglais. La maison Abbott et Hodgson n’entendait pas se laisser déposséder, sans lutte, de sa clientèle indienne ; elle disposait d’énormes capitaux, d’une marque bien connue, et elle étudiait les moyens de disputer à ce nouveau-venu un marché qu’elle tenait pour sien. Bass n’était pas sans inquiétude sur l’issue de cette campagne, et, de son côté, il visait à s’assurer à tout événement une clientèle anglaise. Le hasard allait la lui donner.

Un navire chargé de ses fûts de bière se perdit dans la mer d’Irlande ; on réussit à sauver une partie de la cargaison. Ramenée à Liverpool, elle y fut vendue aux enchères publiques. Les hôteliers de la ville achetèrent à vil prix la bière de Bass ; ses fûts, bien conditionnés, n’avaient subi que d’insignifiantes avaries, le contenu était intact, et ils débitèrent cette bière à leurs cliens. Bass, consterné de la perte de sa cargaison destinée aux Indes, s’évertuait à réparer le dommage que lui causait cet accident de mer et les conséquences que pouvait avoir le retard subi, quand des ordres importans lui arrivèrent coup sur coup de Liverpool. On y avait fort goûté sa bière, et on le pressait d’en envoyer de grandes quantités.

De Liverpool, sa réputation s’étendait sur les deux rives de la Mersey, sur toute la côte, gagnait l’Irlande et lui. conquérait enfin le marché anglais. Depuis, ses correspondans, MM. Ihlers et Bell, ont installé à Liverpool d’énormes chais dont l’approvisionnement régulier et constamment renouvelé est de 5,000 fûts, représentant une valeur en magasin de 50,000 livres sterling. Les mêmes agens expédient en outre annuellement au Brésil plus de 5 millions de bouteilles. Plusieurs autres agens dans divers ports d’Angleterre écoulent chaque année des quantités encore supérieures.

L’exposition de 1851, à Londres, consacra la réputation de la maison Bass, dirigée par Michael-Thomas Bass, héritier et successeur du voiturier de Burton. On peut se faire une idée du chiffre de ses opérations par ce fait, que le dépôt de Saint-Pancrass, à Londres, affecté à la consommation locale, occupe une superficie de 3 hectares et contient 90,000 fûts. Deux autres locaux d’importance au moins égale sont consacrés à l’exportation.

L’établissement central est à Burton, relié aux trois grandes lignes de chemins de fer qui desservent cette ville par un réseau particulier appartenant à la maison, et mesurant 25 kilomètres de voie ferrée. Cette brasserie gigantesque est, à elle seule, une ville dans la ville. Les constructions occupent une superficie de 25 hectares et 3,000 ouvriers y sont à l’œuvre. L’exportation annuelle dépasse un million de fûts; les frais de transport s’élèvent à 4,500,000fr. par année, et l’impôt payé par la brasserie à 7,150,000 francs. 35,000 hectares de terre sont affectés à la production de l’orge,