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devait succéder une ère nouvelle, une répartition plus logique de la richesse d’un petit nombre convertie en l’aisance d’un plus grand nombre.

C’est surtout en Angleterre, pays des grandes fortunes, des contrastes plus marqués qu’ailleurs, que cette tendance s’accentue. Les puissans millionnaires d’aujourd’hui y auront peu d’émulés heureux. Ils n’ont guère laissé à glaner après eux ; la concurrence est plus âpre, les profits moins grands, et les découvertes nouvelles que l’on pourra faire à l’avenir auront plutôt pour résultat de déplacer les grandes fortunes que d’en faire surgir d’autres aussi rapides et aussi éclatantes que celles dont il nous reste à raconter l’histoire.


III.

En retraçant ici même[1] la carrière de sir John Brown, nous nous sommes efforcé de mettre en relief ce côté positif et pratique des Anglais qui les fait s’attacher de préférence, en matière commerciale, à la découverte de procédés ou à la production d’articles d’une application ou d’une utilité quotidienne et constante. C’est sur des millions de consommateurs qu’ils prélèvent les millions qu’ils entassent, proportionnant ainsi à la largeur de la base la hauteur de la pyramide qu’ils édifient. Les infiniment petits besoins de la vie de chacun et de chaque jour sont pour eux l’objet d’un examen minutieux et constant. Ils savent combien la mode est changeante, le luxe éphémère; l’expérience leur enseigne que le moindre ralentissement dans la marche en avant de la prospérité publique, que la moindre crise, se traduisent immédiatement par une réduction des dépenses facultatives; que les objets de goût, de luxe ou de mode sont les premiers atteints. De ceux-là on peut, à la rigueur, se passer ; ils constituent un superflu relatif, agréable, mais non indispensable. D’instinct aussi, leur esprit pratique les porte moins vers ce qui flatte l’œil et le sens artistique que vers l’utile, l’article de consommation courante, et dans ce domaine ils sont passés maîtres, s’imposent et s’enrichissent.

Ainsi fit sir John Brown, et l’immense fortune de M. T. Bass, le roi de la brasserie anglaise, le représentant, au parlement, du bourg de Derby, est un exemple de plus, parmi tant d’autres, de ce sens pratique auquel la fabrication et le commerce anglais sont redevables de leur prodigieux développement. Sur les points les plus reculés du globe, partout où a pu aborder un navire européen, on retrouve la marque du grand brasseur de Burton : son triangle

  1. Voyez la Revue du 1er septembre.