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d’un village, d’une ville, d’une province, mais d’un pays, d’un continent, du monde entier, d’une clientèle inconnue, bien que devinée, illimitée, dont on n’attend pas, mais dont on devance les ordres, dont on calcule la consommation possible ou probable ; consommation qui peut, qui doit s’accroître pendant un temps, mais qui peut aussi tout à coup se dérober, soit par l’effet des événemens politiques, d’une crise financière, soit par la création d’usines locales et rivales s’appropriant le marché national, l’affran-chissant du tribut qu’il paie à l’étranger.

À cette première période correspond l’édification rapide des grandes fortunes du début de ce siècle. La seconde période date de 1865. Le grand marché des États-Unis se ferme à la production européenne, l’équilibre commercial se modifie, l’industrie prend pied partout, et l’Angleterre, la plus vaste usine, la plus gigantesque manufacture qui jamais inondât le monde de ses produits, voit naître partout des usines, des manufactures rivales. Le nombre des concurrens s’accroît ; la lutte, plus âpre, aboutit à des profits moindres ; l’ère des fortunes colossales et rapides semble près de son terme, et tout porte à croire que cette évolution nouvelle n’a pas encore donné les résultats qu’on en doit attendre.

Aussi avons-nous cru l’heure propice pour noter les phases curieuses de cette révolution industrielle, que d’éminens économistes déclarent fatalement condamnée à aboutir au sisyphisme pour l’ouvrier, à la mer stagnante d’une production exagérée, sans écoulement, pour l’industriel. L’un des symptômes les plus caractéristiques est, d’une part, l’abondance des capitaux en quête d’emplois rémunérateurs, et, comme terme correspondant, la baisse continue de l’intérêt. Les profils industriels diminuent, et les gains énormes du commencement de ce siècle sont de plus en plus l’exception aujourd’hui dans toutes les branches de l’activité humaine. Sauf quelques industries privilégiées, protégées par un monopole de fait ou de droit, toutes les autres voient réduire leurs bénéfices. Un niveau moyen s’établit, limitant le profit au taux de l’intérêt courant, le ramenant à 6, à 5, à 4 pour 100, suivant que l’intérêt du capital est lui-même de 6, 5 ou 4 pour 100.

Et ce calcul n’est pas exact seulement en Europe ; il en va de même dans les pays nouveaux. Là où le taux de l’argent s’élève à 100 pour 100, comme ce fut un instant le cas en Californie, le profit s’élevait en moyenne à 100 pour 100. Lorsqu’il tomba à 50, puis à 36, puis à 12, et enfin à 7 pour 100, les bénéfices suivirent la même marche décroissante. Bien qu’on ne puisse encore ériger ce calcul en loi absolue, étant donné que le taux d’intérêt varie suivant des situation de places indépendantes en apparence du mouvement commercial, on peut toutefois prévoir que, dans un