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Mais il y a certains principes d’équité que le besoin d’une procédure plus expéditive et plus simple ne doit pas faire fléchir. Notre code de commerce avance brusquement l’échéance des dettes à terme comprises dans le passif du failli ; celles-ci deviennent immédiatement exigibles. Donc vous avez vendu comptant pour 95 francs et vous ne « produisez » que pour 95 francs dans la faillite de votre acheteur ; j’ai vendu la même marchandise à 100 francs, payables dans un an, ce qui revient au même, et je peux « produire » sur-le-champ pour 100 francs. J’obtiens, par conséquent, une allocation indirecte d’intérêts, puisque les intérêts avaient été, dans le second cas, ajoutés au capital pour faire corps avec lui, et cela quoique, d’après une autre disposition de la loi, le cours de tous les intérêts s’arrête au jour de la faillite. La loi me favorise donc, dans ce cas, aux dépens, soit du vendeur au comptant non payé, soit du vendeur à terme dont la créance porte intérêt jusqu’à l’échéance. Le type des obligations remboursables à long terme et non productives d’intérêts s’est assez généralisé pour qu’on puisse se demander s’il n’y aurait pas lieu de soumettre de telles créances, en les payant par anticipation, à un travail préliminaire d’escompte, ainsi qu’on le fait en Espagne, en Allemagne, en Italie, et que le propose, avec certaines restrictions, la cour de Montpellier.

Quand le sentiment de l’égalité serait banni de toutes les autres lois, il devrait se retrouver dans la législation des faillites. Cette idée de justice a manifestement dicté les dispositions additionnelles proposées par M. Saint-Martin, par la cour de cassation et par la chambre de commerce de Paris, qui tendent à faire régler les droits des créanciers étrangers, dans les faillites ouvertes en France, par le principe de réciprocité. En Allemagne, la loi de 1877, tout en proclamant in abstracto l’égalité des créanciers étrangers et des créanciers nationaux, permet au chancelier de rendre, après avoir pris l’avis du conseil fédéral, « une ordonnance excluant de la répartition les créanciers qui appartiennent à une nation étrangère ou leurs ayants-cause. » La commission parlementaire a pensé qu’il suffisait de laisser dédaigneusement à nos voisins l’odieux d’une disposition pareille, et sans doute aussi d’en appeler à la postérité. Mais ces appels ne sont jugés qu’avec lenteur, et de sages représailles peuvent ramener à la notion du droit les peuples qui sont tentés de s’en écarter.