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fonction de « curateur. » Quelques réformateurs, encouragés par ces exemples, ont pensé que la profession ne pouvait pas rester libre. M. Thaller, entre autres, propose de transformer les syndics en officiers ministériels astreints au cautionnement, surveillés par le ministère public, soumis au pouvoir disciplinaire du tribunal : « Le décret d’institution, croit-il, équivaudrait à un gage de probité et d’aptitude donné au public. » Cela n’est pas bien sûr. L’Académie des Sciences morales, tout en couronnant M. Thaller, a pris soin de l’avertir qu’elle s’écartait, en ce point, de son avis. N’y a-t-il pas assez d’officiers publics ? convient-il d’allonger encore la liste interminable de nos fonctionnaires ? D’ailleurs, le tribunal peut exercer dès aujourd’hui son action sur l’administrateur infidèle ou suspect de la façon la plus simple : au début, par le refus de désignation ; au cours de la procédure, par le remplacement.

Par une contradiction singulière, d’autres réformateurs, en critiquant la conduite des syndics, veulent augmenter le nombre des préposés à l’administration de la faillite. C’est avec stupeur qu’on voit apparaître dans le projet Saint-Martin quatre catégories de ces préposés, abstraction faite des « comptables » et du débiteur lui-même, qui peut conserver provisoirement le maniement de sa fortune ; on y voit défiler successivement le séquestre provisoire, les commissaires, les liquidateurs, les administrateurs de la masse. La commission parlementaire, tout en reprochant au député de Vaucluse cette multiplication d’agens, encourt, quoiqu’à un moindre degré, le même reproche, puisqu’elle place côte à côte l’administrateur (c’est le syndic, auquel on n’ose pas laisser son nom) et le liquidateur. C’est une bien mauvaise idée que d’augmenter le nombre des personnages destinés à vivre aux dépens de la faillite. Le renard de La Fontaine, je parle de ce renard blessé que mangent les mouches et qui, sourd aux conseils du hérisson, ne veut pas se laisser achever par une troupe nouvelle, est assurément plus avisé.

Faudrait-il revenir au système de 1807, répudié chez nous trente ans plus tard, mais gardé par l’Autriche, par la Norvège, par le Danemark, en faisant élire le syndic par les créanciers ? C’est à la suite des plus graves abus qu’un tel mode de nomination fut abandonné par les Anglais en 1883. L’expérience a démontré, soit en France, soit en Angleterre, que cette élection n’était une garantie ni d’incorruptibilité ni même de docilité. C’est d’ailleurs une chimère, on n’en doutait plus en 1838, que d’espérer le concours désintéressé d’un créancier, recommandé par ses lumières ou par ses loisirs, et propre à s’acquitter d’une besogne aussi difficile. Les syndics ne seraient pas plus scrupuleux, mais seraient moins expérimentés et moins expéditifs. On aurait encore manqué le but.