Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les faillis non réhabilités? Faut-il, par exemple, frapper nécessairement des mêmes incapacités n’importe quels concordataires, alors même qu’ils auraient fait les plus louables efforts pour se libérer, et le débiteur en état d’union qui n’a pas même pu se faire déclarer excusable? Nous n’irons pas, on le verra bientôt, jusqu’à cet excès de rigueur, mais sans nous dissimuler que notre projet de réforme sera dépassé par les réformateurs. Nous tenons donc à leur donner, sans chercher à prévoir jusqu’à quel point on atténuera les déchéances infligées au concordataire, un double conseil. D’abord, ils n’oublieront pas que certains de ces traités n’ont que l’apparence du concordat. Il y en a dans lesquels la « masse» des créanciers, par commisération, lassitude ou dégoût, compose moyennant un dividende de 2 ou 3 pour 100 ; ce n’est là, sous un nom figuré, qu’une remise de dette. Le failli ne devrait, à notre avis, quelque bienveillance qu’on entendît lui témoigner, recouvrer une partie de ses droits électoraux qu’à la condition de distribuer un dividende sérieux : 18 pour 100 selon les uns, 30 ou 40 pour 100 selon les autres[1]. En second lieu, même une fois cette condition remplie, il faut encore infliger au concordataire une déchéance assez grave pour qu’il aspire à sa réhabilitation. Je me suis expliqué sur ce point, et de nouveaux développemens seraient inutiles.

Chacun sait que les créanciers étant, en général, trop nombreux pour administrer eux-mêmes la faillite, cette administration est confiée par le tribunal à des syndics, surveillés par un juge-commissaire. Faut-il modifier cette institution? Parmi les questions générales que soulèvent les projets de réforme et notamment le projet parlementaire, celle-ci figure encore au premier plan. Le César Birotteau, de Balzac, antérieur à la révision de 1838, contient une philippique terrible :... « Le syndic, au lieu d’être l’homme des créanciers, peut devenir l’homme du débiteur... Il peut s’utiliser des deux côtés, soit en n’incendiant pas les affaires du failli, soit en attrapant quelque chose pour les gens influens ; il ménage donc la chèvre et le chou... Il se tourne vers le râtelier le mieux garni, soit qu’il faille couvrir les plus forts créanciers et découvrir le débiteur, soit qu’il faille immoler les créanciers à l’avenir du négociant... » Il y a dans ce noir portrait une véritable exubérance d’imagination. M. Thaller, tout en estompant un peu son dessin, n’est pas, au fond, beaucoup plus tendre. Après avoir reconnu qu’on voit le syndic tantôt se faire l’homme-lige de certains créanciers qui veulent écraser les autres et a ne reculer devant

  1. Mais j’incline à penser que le chiffre de 18 pour 100, dividende normal depuis quelques années, serait insuffisant; pourquoi ne chercherait-on pas à relever la moyenne, alors que, de 1871 à 1875, cette moyenne était encore de 20 pour 100?