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Par un motif analogue, il me semble imprudent, une fois le principe des incapacités politiques admis, de conserver au failli, concordataire ou non, mais « excusable, » la plénitude de ses droits électoraux, en ne lui ôtant que ses droits d’éligibilité. « Cette disposition, a dit la cour de Montpellier par l’organe de M. Cauvet, témoigne d’une extrême indulgence. Peu importe à celui qui a été déclaré en faillite de n’être pas éligible. Ce n’est point parmi les faillis que les électeurs recrutent les candidats, de sorte que la loi ne ferait que leur enlever ce qu’ils ne pourraient pas obtenir. N’être pas électeur, lorsque tous le sont, est autrement sérieux. L’incapacité, dans ce cas, est la marque d’une infériorité sociale, et constitue un moyen d’action très réel dont il ne faudrait pas compromettre l’efficacité. » C’est exact. Sur 8,000 commerçans environ qui suspendent leurs paiemens chaque année, il y en a plus de 7,500 qui se soucieront fort peu d’être inéligibles, parce qu’ils n’avaient pas la moindre envie d’être élus.

On répondra sans doute que les faillis jugés non excusables ne redeviennent pas électeurs, et que les jugemens d’excusabilité ne sont pas prononcés à la légère. Mais, il ne faut pas l’oublier, les tribunaux de commerce peuvent déclarer excusable qui bon leur semble (sauf certaines catégories de délinquans, les voleurs, les escrocs, les banqueroutiers frauduleux, etc.), et, quand ils le font, n’ont pas de comptes à rendre. Aussi ne doit-on pas se montrer trop surpris si, par exemple, à Paris, sur 590 faillites à l’état d’union liquidées par le tribunal de commerce en 1886, 488 ont été déclarées excusables. Encore, depuis que la déclaration d’excusabilité n’affranchit plus les faillis de la contrainte par corps, abolie en 1867, la plupart d’entre eux n’y attachent-ils plus une grande importance. Mais, si les données de la statistique faisaient craindre, hier encore, à des praticiens que cette mesure ne dégénérât en faveur « banale et courante, » que sera-ce quand d’une telle déclaration dépendra l’exercice du droit électoral? Que feront les tribunaux de commerce, assiégés de revendications passionnées, exposés aux rancunes du parti qu’ils auront blessé par un refus, même équitable? C’est encore un des défauts du projet ; ces tribunaux, très aptes à prononcer sur l’interprétation des contrats commerciaux, ne sont pas faits pour punir ; s’il faut que des commerçans improvisés juges prononcent contre leurs pairs la déchéance d’un tel droit sans qu’il leur soit même loisible de s’abriter derrière un texte impératif, ils faibliront généralement dans l’accomplissement de cette tâche. Ils délivreront, la mort dans l’âme, à de malhonnêtes gens, une attestation de probité, parce qu’ils n’oseront pas les chasser du corps électoral.

Faut-il donc assimiler indistinctement, quant aux déchéances,