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conjurée, soit par un sursis de paiemens, soit par un concordat d’atermoiement qui ressemblait fort au sursis. D’ailleurs, de quelque manière que la liquidation finît et que l’excusabilité fût ou non prononcée, nulle déchéance civique n’atteignait le débiteur. Ce système de procédure aimable ne ressemblait à rien de ce qu’avaient imaginé jusque-là les législateurs les plus tolérans de l’Europe et de l’Amérique. « Remède pire que le mal, s’est écriée la chambre de commerce de Lyon, qui cherche pourtant à modifier la législation actuelle ; l’état de cessation de paiemens serait, pour ainsi dire, entouré d’une auréole qui le recommanderait à la bienveillance publique. » Ce jugement suffira sans doute au lecteur, et nous n’insisterons pas sur un projet qui n’a prévalu ni dans les conseils du gouvernement ni dans les délibérations de la chambre.

Il semble à ces législateurs philanthropes qu’on aurait tout gagné si les mots a faillite » et « failli » disparaissaient du dictionnaire. En somme, c’est un procès en règle que les réformateurs font à l’opinion publique, tout en affectant de suivre avec docilité son impulsion. Le mot, en soi, n’a rien qui blesse l’équité naturelle, et correspond exactement à la chose ; le failli, c’est le commerçant qui manque à ses engagemens. Si cette expression produit un fâcheux effet sur l’esprit du plus grand nombre, ce n’est pas qu’un artifice de langage ait donné le change à l’opinion publique ; c’est que, pour le plus grand nombre, aujourd’hui comme hier, un commerçant a tort de manquer à sa parole et de ne pas payer ses dettes. Il faudrait précisément donner le change à cette opinion pour la convaincre que le même homme doit être, pour les mêmes actes, plus ou moins sévèrement jugé, selon qu’il se nommera failli, par exemple, ou « liquidé. » Philaminte, on se le rappelle, ne peut pas tolérer qu’un arrêt l’ait « condamnée, » mais seulement parce que le mot la choque, à payer 40,000 écus ; le vrai public n’est pas fait à l’image des « femmes savantes » et ne se paie pas de mots. « Il ne dépend d’aucune loi, a dit le tribunal de commerce de Marseille, généralement composé de gens très pratiques, de faire qu’une défaveur morale ne soit pas attachée au fait de ne pas tenir ses engagemens. » Et puis, en admettant qu’un changement de vocabulaire, entraînant l’esprit public dans une autre direction, rassurât tous les débiteurs, il ne faudrait pas tant s’en réjouir. Tant mieux si, comme le disait il y a quelques années la faculté de droit de Lyon, la crainte de la faillite est le commencement de la sagesse commerciale ! tant pis pour le commerce et pour la nation si, grâce à de maladroites réformes, la généralité des insolvables peut désormais entonner ce cantique d’actions de grâces : « Enfin, nous avons fait faillite ! »

Tel n’est pas, nous le reconnaissons, le but que se proposait la