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excusable. M. Laroze, dans son rapport supplémentaire de juin 1888, n’eut pas de peine à démontrer que ce projet de réforme « créerait une situation des plus dangereuses ; » il lui reprochait en termes très nets de sacrifier complètement les intérêts des créanciers. C’est de toute évidence.

M. Renouard a dit : « Entre le créancier qui n’est point payé et le débiteur qui ne paie point, c’est le malheur du créancier qui mérite la principale part d’intérêt. » Le véritable esprit démocratique, quelque exemple que nous aient transmis les agitateurs de la plèbe romaine, ne consiste pas à détourner cet intérêt sur le débiteur, et l’on discrédite le principe même de la démocratie en laissant croire qu’elle doit couvrir d’une protection particulière des gens infidèles à leurs engagemens. La faillite, même sous le régime le plus démocratique, doit avoir un caractère exemplaire, afin de rendre le commerçant plus circonspect, c’est-à-dire de le prémunir contre des spéculations imprudentes ou coupables ; elle doit, en outre, frapper assez durement le failli pour que celui-ci ait un intérêt palpable à se faire réhabiliter et à s’acquitter, dès qu’il le pourra, de toutes ses obligations. Par exemple, on ne peut pas douter que la suppression de la contrainte par corps (sur laquelle il n’y a pas d’ailleurs à revenir) ait exercé sur l’issue des faillites une influence très fâcheuse. Le législateur de 1838 avait habilement organisé la « clôture pour insuffisance d’actif; » dans ce système, le syndic, à défaut de fonds pour la continuation de la procédure, demandait à la justice de lever provisoirement le séquestre qui pèse sur les biens du failli; par là, les créanciers, recouvrant leur liberté d’action, pouvaient faire écrouer le débiteur à leur gré. Celui-ci, les sachant plus irrités que le syndic, sortait de son apathie, prenait les devans au moment critique, réunissait des fonds ; le failli restait libre, et finissait par obtenir, avec une déclaration d’excusabilité, son immunité définitive. Grâce à ce mécanisme, les clôtures pour insuffisance d’actif, si préjudiciables aux créanciers, étaient tombées, de 1848 à 1853, à 19 pour 100 ; depuis que la cessation des opérations n’expose plus le débiteur à la contrainte, elles ont successivement atteint 42, 44, 46 pour 100! Ce résultat déplorable a frappé M. Thaller, et le savant professeur, quoique très favorable, selon nous trop favorable, aux nouveaux projets de réforme, n’a pas craint d’écrire : « A tant faire que de s’en tenir à un extrême, mieux vaut encore garder une loi trop cruelle que d’en promulguer une trop adoucie. »

Tel n’est pas assurément l’avis de M. Saint-Martin. Celui-ci arrivait, au demeurant, tout comme M. Millerand, à supprimer la faillite, qu’il remplaçait par un régime qualifié cessation de paiemens ; la liquidation forcée, l’union, en d’autres termes, était