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aléatoire. Donc il est impossible que ces engagemens soient invariablement tenus. Ceux qui font le commerce ne sont pas toujours honnêtes; quand ils le seraient, ils peuvent manquer de prévoyance ou d’habileté. La probité, la prévoyance et l’habileté réunies conduisent généralement au succès, mais n’en sont pas le gage infaillible, et certains événemens déjouent toutes les prévisions. La foudre éclate : les dettes légitimes ne peuvent plus être payées. C’est un désastre public et privé. Voici des créanciers qui comptaient recouvrer le montant de leurs prêts ou l’équivalent de leurs fournitures : il faut pourtant qu’ils vivent et, s’ils ont une famille, qu’ils lui donnent de quoi vivre; s’ils ont eux-mêmes pris des engagemens, qu’ils les exécutent; peut-être sont-ils aussi commerçans et, s’ils ne paient à leur tour, seront-ils réduits à déposer leur bilan. Ce n’est plus seulement à l’intérêt des créanciers déçus dans leur attente, mais à un intérêt plus général qu’il faut pourvoir. Il importe à tous que tout ne soit pas emporté dans ce torrent. La situation même du débiteur est à prendre en considération; s’il faut l’empêcher de soustraire sa fortune à ceux qu’il a frustrés, il importe de ne pas l’écraser sous des rigueurs inutiles, ne fût-ce que pour l’aider à se relever un jour et à s’acquitter de ses obligations. Une bonne loi sur les faillites est celle qui concilie le mieux ces intérêts divers.

Or il est, en général, impossible de faire une loi parfaite et difficile de faire une bonne loi. Mais il est surtout difficile de rédiger une loi des faillites qui soit à peu près irréprochable. « Le régime des faillites, a dit avec une remarquable sagacité l’illustre rapporteur de la loi de 1838, M. Renouard, était imparfait sous l’ordonnance de 1673 ; il l’était sous le code de 1807 ; il le sera sous la loi de 1838, et surtout il sera accusé de l’être. Ni les enseignemens de: la pratique la plus expérimentée, ni les recherches de la science la plus vaste, ni les ressources de l’esprit le plus délié, ne supprimeront en cette matière les difficultés qui tiennent à sa nature. Tout le monde perd dans une faillite ; la sagesse consiste non à empêcher ou à prévenir des sacrifices forcés, mais à les mesurer et à les coordonner. Or on impute facilement à la loi les maux qui dérivent de la nécessité à laquelle la loi doit obéir; et comme, dans aucun temps ni dans aucun pays du monde, une loi n’empêchera que toute faillite ne soit une fort mauvaise affaire, il est à présumer que partout et toujours on se plaindra des législations sur les faillites. » C’est ce que répètent en d’autres termes tous les écrivains compétens : M. Courcelle-Seneuil, dans l’exposé des motifs du projet soumis par le gouvernement aux chambres, M. Thaller dans le savant mémoire que l’Institut a couronné, M. Langlais dans son essai critique sur les projets de réforme. Ainsi que l’a