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réclamer… la loi sur les faillites. » C’est évidemment l’intérêt du même parti qui poussait deux hommes politiques d’une grande notoriété, MM. Pascal Duprat et Vergoin, à faire, le premier une conférence au théâtre de la Gaîté, le second un grand discours à Bordeaux, devant un nombreux auditoire, sur la question des faillites. L’Association républicaine du centenaire de 1789 cédait manifestement au même mobile, lorsqu’elle chargeait, en 1887, une commission d’étudier la réforme de cette législation spéciale. Il semble que, pour quelques centaines de Français, l’avenir des institutions républicaines soit enjeu.

C’est ce qu’il nous est difficile de comprendre. Un certain nombre de gens ont contracté, dans notre pays, l’habitude de mêler la politique à toutes choses. Cette manie, inoffensive en apparence, a pourtant deux inconvéniens graves. Elle peut pousser des hommes sincères, enrégimentés dans un camp, à soutenir de mauvaises propositions ou à combattre d’utiles réformes par esprit de discipline. Elle peut gêner d’honnêtes gens, qui désirent rendre à César ce qui est à César, et ne veulent pas se donner l’air de partir en guerre contre les institutions établies. La part de la politique est assez large sans qu’on s’évertue à l’élargir. On peut blâmer les projets de réforme soumis à la chambre des députés sans conspirer pour une dynastie déchue, comme on pourrait les soutenir en tramant les plus noirs complots. La question n’a rien de politique.

Mais n’est-elle pas, du moins, « sociale ? » De braves gens se figurent en effet qu’il s’agit, en modifiant notre législation des faillites dans l’intérêt du failli, de protéger le faible contre le fort, le pauvre contre le riche. Le fort, le riche, c’est naturellement le créancier ; le faible, le pauvre, c’est le débiteur. Quelle erreur! Oublie-t-on les faillites de ces sociétés puissantes, édifiées par des spéculateurs téméraires, qui ont couvert l’Europe de leurs annonces et de leurs prospectus mensongers, sollicité l’épargne par leurs agens et par leurs réclames, soutiré l’argent des ignorans et des humbles, puis se sont effondrées avec fracas ? Est-ce que les petits commerçans sont seuls à suspendre leurs paiemens ? Chacun de nous ne connaît-il pas un certain nombre de gros négocians qui n’ont pas payé de très petits fournisseurs et de banquiers opulens qui ont ruiné des cliens misérables ? Il ne faut pas intervertir les rôles. Les apôtres de la plus vaste réforme sociale se tromperaient ou tromperaient le public en prenant toujours et quand même le parti du débiteur contre la créancier.

Il s’agit d’un problème économique comme un autre, à résoudre en dehors de tout parti-pris. Le commerce repose sur l’exécution ponctuelle des engagemens réciproquement contractés. Cependant il vit de spéculations, et l’issue de ses entreprises est nécessairement