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de l’arme, discrédit qui persiste encore aujourd’hui, bien qu’atténué. Assurément, et malgré de brillantes exceptions, le corps d’officiers de l’artillerie allemande, considéré dans sa masse, n’atteint pas la moyenne des nôtres.

En revanche, on reproche à nos polytechniciens la tournure géométrique de leur esprit. On prétend, par exemple, que leur conception du combat moderne, telle qu’elle résulte de l’Instruction du 1er mai 1887, dénote plus l’habitude du tire-ligne que la pratique de la guerre. C’est une épure qu’on nous présente là, a-t-on dit, et rien de réel. Les phases successives de l’engagement ne se dérouleront pas, comme les actes d’une tragédie, en périodes distinctes et nettement marquées, elles s’enchevêtreront les unes dans les autres. Le terrain, d’autre part, ne se prêtera pas toujours à l’établissement des batteries et de l’infanterie suivant un dispositif rigide. Soit ; mais lorsqu’on énonce des règles, il faut bien partir d’une hypothèse. Le débat est ouvert entre les partisans des formules et les sceptiques qui, croyant impossible d’enfermer dans des recettes rigides ce qu’il doit y avoir d’ondoyant dans l’art de la guerre, ne veulent pas brider l’inspiration et soumettre le génie à la sujétion des « théories. » Le général Lewal a pris très énergiquement la défense des règlemens. Non, ils ne sont pas un obstacle à l’accomplissement de tentatives hardies ; tout au plus gênent-ils les esprits primesautiers. Mais quel secours précieux ne donnent-ils pas aux autres! c’est une force pour les indécis, un lest pour ceux qui sont trop légers. Il suffit qu’on les prenne pour ce qu’ils sont, pour des schémas applicables à une situation idéale.

L’Instruction précités sur l’emploi de l’artillerie dans le combat trace peut-être un idéal irréalisable, mais ses tendances sont incontestablement justes. Elle fixe la tactique de l’arme, comme les fameux « Fascicules » ont fixé celle de l’infanterie ; comme eux, elle l’a orientée du côté de l’offensive, qui, seule, dit-elle, a permet d’obtenir des résultats décisifs, » tandis que « la défensive dénote toujours une infériorité matérielle ou morale chez celui qui s’y résout. » Elle donne sur les devoirs respectifs des différens grades des idées précises, et consacre, au point de vue du ravitaillement en munitions, — question capitale, — des principes qui semblent fort judicieux. Complétée par diverses Notes relatives aux manœuvres des batteries attelées, elle prouve tout au moins la grande activité, soit du comité de l’artillerie, soit de la section technique chargée d’élaborer ces documens. On pourra contester la justesse de tel ou tel point ; on trouvera à reprendre ici ou là. L’important est qu’on ait maintenant une base d’études. Un corps de doctrine, donnât-il prise à la critique, vaut mieux que rien du tout. La nature a horreur