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confinés dans leur caserne ont un horizon par trop étroit et monotone. S’occuper d’une industrie qui se rattache à la profession des armes, apprendre comment se fabriquent la poudre, les balles, les cartouches, les fusils, les canons et même le matériel roulant, loin d’être nuisible, c’est un passe-temps instructif, intéressant, profitable; l’esprit conserve sa souplesse à comprendre des questions nouvelles; on acquiert des connaissances variées; on cesse de tourner dans le même petit cercle étroit de la spécialité qu’on a embrassée. Mais il ne faut pourtant pas qu’on la perde de vue, cette spécialité. Après une digression sur des terrains étrangers, on doit y revenir avec plus d’ardeur et de goût encore que par le passé. Il faut donc rentrer dans le service des troupes avant d’en avoir désappris le maniement: aussi ne devrait-on pas détacher les officiers, pendant plus de deux ou trois ans, dans des postes où forcément ils oublient ce qu’ils ont à savoir.

En Allemagne, on ne connaît pas ces longues absences qui sont imposées à nos capitaines en second. On ne fait pas jouer à des combattans le rôle d’ingénieurs : à chacun son métier. Mais il faut bien reconnaître que les officiers de l’artillerie allemande n’ont pas la science, les qualités et les aptitudes techniques des nôtres, et qu’ils ont une moindre ouverture d’esprit; de la nature même de leur recrutement résulte leur infériorité. N’oublions pas que, en vertu de traditions plus que séculaires, l’arme qui, en France, est notre préférée, a été la délaissée et, comme on l’a dit, la Cendrillon de la nation prussienne. Lorsque, en 1776, le comte de Saint-Germain appela les roturiers à entrer dans le « corps royal, » les sentimens démocratiques qui animaient la France en éprouvèrent une satisfaction véritable. Le mérite pouvait donc se faire jour. On rechercha un titre qui n’était pas dû au seul hasard de la naissance, mais à la valeur personnelle du titulaire. Si l’admission des enfans de la bourgeoisie dans les cadres de l’artillerie a été tolérée par le grand Frédéric, c’est dans un tout autre ordre d’idées. Il avait besoin de beaucoup d’officiers, la noblesse ne lui en fournissait pas assez ; il lui en fallait, à toute force, puiser ailleurs, au risque de s’encanailler: ce fut l’artillerie qu’il sacrifia. « Il a réglé, écrivait le marquis de Toulongeon en 1786, que, dans les hussards et le corps d’artillerie seuls, on pouvait de l’état de soldat parvenir aux grades d’officier, ce qui n’est pas dans tout le reste de l’armée, où le grade de bas-officiers est le nec plus ultra du soldat. Les régimens sont donc remplis de jeunes gens de famille qui ne seraient ailleurs ni officiers ni soldats, et l’on ne se rend pas difficile sur la taille ni la tournure. Dès qu’ils annoncent du talent, on les place dans le corps des bombardiers, et c’est de là que sortent presque tous les officiers d’artillerie. » Cette origine explique le discrédit