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de ses cadres? Eh bien! non. Nos officiers d’artillerie sortent de l’Ecole polytechnique. Ils font à Fontainebleau de fortes études scientifiques. La pratique n’y est pas non plus négligée, comme elle l’a été à une époque où on se préoccupait plus de faire des savans que des manœuvriers. Une réaction salutaire s’est produite, et on arrive maintenant à un équilibre satisfaisant entre les connaissances théoriques et le savoir professionnel. S’il y a un regret à exprimer, c’est que les qualités acquises ainsi à l’École et développées dans le grade de lieutenant, risquent de disparaître ou de s’atténuer pendant les stages de longue durée que font les capitaines en second en dehors des corps de troupes. Ils en sont détachés, à l’âge critique, lorsque arrive la trentaine, pour aller exercer dans des arsenaux, dans des fonderies, voire dans des établissemens appartenant à l’industrie privée, des fonctions plutôt civiles que militaires : ils sont constructeurs, ingénieurs, fabricans, bureaucrates. S’appliquant à un métier qui est nouveau pour eux et qu’ils veulent faire de leur mieux, ils se laissent absorber par des études fort éloignées de leurs occupations normales. Pour peu qu’ils ne soient stimulés par personne et que l’âge ait chez eux émoussé la volonté, ils cessent de s’intéresser aux progrès de leur arme (aussi bien ne leur donne-ton pas assez les moyens de se tenir au courant de ce qui s’y passe) ; ils ne résistent pas aux tentations que leur offre leur existence nouvelle ; ils trouvent des prétextes pour négliger l’équitation ; ils s’alourdissent, et, plus tard, quand ils rentrent dans les régi mens, ils se sentent arriérés et, en quelque sorte, gênés par leur ignorance. Six ou sept ans d’absence, en un temps où une activité infatigable métamorphose rapidement les choses, où les institutions, les règlemens, les théories se succèdent sans trêve, c’est suffisant pour qu’on ne puisse se remettre au courant. On sait que le soldat qui s’arrête, pendant une marche, pour lacer sa guêtre ou allumer sa pipe, ne peut plus ensuite arriver à rejoindre la colonne, ou il lui faut beaucoup courir et se fatiguer pour la rattraper. Pour se remettre au pair, un capitaine qui reprend la vie régimentaire doit déployer beaucoup de force de caractère. Si beaucoup montrent une énergie suffisante et mènent à bien cette dure entreprise, il y en a encore trop qui faiblissent et renoncent, comme devant un obstacle trop haut pour ce qui leur reste de vigueur.

A Dieu ne plaise, pourtant, qu’on supprime d’une façon radicale les emplois en quelque sorte extérieurs à l’armée auxquels sont appelés nos officiers d’artillerie. Il est sain de changer d’air ; il est bon de sortir un peu de son milieu, de ne pas toujours rester dans les coulisses. Vues de la salle, les choses paraissent sous un autre aspect que vues de la scène. Les militaires qui restent constamment