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s’en tiennent à ce qu’ils ont appris au cours de la première ; il est donc fort rare qu’ils acquièrent une bien grande habileté dans le service de la pièce. »

Mais, dira-t-on, cette insuffisance professionnelle est compensée par une plus forte discipline, ou par une meilleure organisation, ou par un meilleur choix des cadres. Pour ce qui est de la discipline, nous répondrons par cette citation :


Comme tous les musiciens, le trompette se plaît à se considérer comme un artiste plutôt que comme un soldat. La vie qu’il mène empêche l’esprit militaire de se développer en lui ; il n’a qu’une préoccupation, qu’un désir : gagner de l’argent. Et on n’y saurait mettre obstacle, car, à la longue, il finirait par ne plus pouvoir vivre de sa solde ; s’il ne pouvait pas gagner de l’argent en ville, il ne contracterait pas de rengagement. Un corps qui passerait pour empêcher ses trompettes de jouer en public ne trouverait pas à recruter sa fanfare.

L’influence pernicieuse que toute cette liberté exerce sur les « artistes » en question provient de ce qu’ils perdent l’habitude de jouer de jour, réunis en corps, et, par conséquent, militairement : c’est plus souvent par groupes isolés, de nuit, dans des salles de bal, qu’ils déploient leurs talens. Il arrive fréquemment que, dans ces occasions, ils fassent la quête, comme les musiciens ambulans, et qu’ils tendent la main pour avoir la pièce. Certes, ce n’est pas là ce qui pourra réveiller en eux l’esprit militaire, d’autant plus que ces fréquentations les amènent à prendre le goût de boire.

Vers quatre, cinq heures du matin, ils s’en retournent au quartier d’un pied mal assuré, harassés, la tête brouillée, les yeux noyés de sommeil, l’esprit plus ou moins troublé, pour quitter à contre-cœur leurs effets civils, revêtir l’uniforme et prendre leur service, encore plus à contre-cœur. Ce service, soit dit en passant, on ne pourra guère le rendre bien pénible et bien assujettissant pour des soldats si peu militaires.

Une telle existence ne peut que leur fausser le sentiment moral ; quant à leur instruction militaire, elle est à peu près nulle. Et c’est à ces gens-là qu’on est presque forcé de confier le service de la transmission des ordres en campagne, fonctions délicates, puisque les ordres ne peuvent être exactement exécutés que s’ils sont transmis exactement ! c’est à eux que nous irions confier une mission dont dépend le sort même du corps !


Une arme où le « personnel de liaison » est ainsi recruté, peut-on prétendre qu’elle soit complètement préparée à la guerre ? Mais, au moins, rachète-t-elle ce qui lui manque de ce côté par la valeur