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ce qu’il en pense. En apparence, dit-il, « rien n’est plus aisé. Le capitaine n’a qu’à se tenir, la lunette à l’œil, à l’abri du vent, sur l’aile de la batterie. Admettons qu’il soit placé du côté gauche. Tout coup qui lui paraîtra éclater à la droite du but sera court; s’il voit la fumée de l’explosion à gauche, elle proviendra d’un coup long. (Ceci, bien entendu, si le coup est bien dans la direction du but.) Rien de plus simple, rien de plus facile. Mais, même en temps de paix, on commet des erreurs de pointage, et si on s’est trompé, si on a visé sur la troisième pièce de la batterie ennemie, tandis que l’objectif désigné est la quatrième, les conclusions auxquelles arrivera le capitaine seront forcément fausses. »

A la guerre, l’observateur devra lutter avec d’autres obstacles encore : la fumée qui sort des canons ennemis peut lui masquer celle que produit l’éclatement de ses obus, à lui. Que plusieurs batteries exécutent simultanément un tir convergent sur un même point de la ligne adverse, aucune d’entre elles ne saura au juste si tel coup qu’elle observe provient de son propre tir ou du tir de la batterie voisine, et l’attribution qu’elle en pourra faire sera bien des fois erronée. On se croira sûr de son fait, alors qu’en réalité on frappe à côté, et on consommera en pure perte sa poudre et ses obus, jusqu’au moment où on s’apercevra de sa faute. Il faudra alors recommencer le réglage.

Mais, pendant ce temps, l’ennemi, lui, a trouvé la bonne hausse ; son feu est devenu intense. Aussi, lorsque vous voudrez observer un coup, la fumée d’un obus ennemi, passant près de votre jumelle, voilera votre vue; peut-être même ternira-t-elle vos verres. Vite, vous le nettoyez avec votre gant et vous commandez Feu ! pour la pièce suivante. À ce moment, un projectile siffle aux oreilles de votre cheval, qui fait un écart, et vous ne songez plus à voir comment votre obus tombe, préoccupé que vous êtes de ne pas tomber, vous. Ah ! voilà un shrapnel ennemi qui vient éclater au beau milieu d’un attelage : celui-ci s’emporte et se jette sur vous juste au moment où vous vous remettiez à observer. Les obus pleuvent autour vous de plus en plus dru ; vos hommes commencent à s’agiter, ils s’appliquent avec moins de soin à prendre la hausse, ils ne se donnent plus la peine de pointer tout à fait correctement ; aussi les indications fournis par l’observation des points de chute n’ont-elles plus aucune valeur.

Ne croyez pas que ce soient là simples hypothèses et contes en l’air. Après avoir présenté le récit qui précède des incidens qui peuvent troubler le réglage du tir, le prince de Hohenlohe ajoute « Ce que je vous raconte là, ce sont des choses qui me sont arrivées à moi personnellement. Cela se passait à Sedan. Je venais de placer les deux premières batteries de l’artillerie de corps. Je les