un vaste épervier d’éclats dangereux qui couvre un large espace, n’est-ce point infiniment plus avantageux que de mettre quelques parties des voitures hors de service? On remplace les organes détériorés, et tout est dit. Assurément la réparation d’une avarie n’est pas toujours facile, ni simple ni rapide. Encore est-elle possible: le fer et l’acier n’opposent aucune mauvaise volonté. L’homme est moins malléable. Ce « roseau pensant » est accessible à la peur : il se laisse démoraliser. Si l’obus rencontre un coffre et le fait sauter, on perd une trentaine de coups ; mais c’est grand hasard si, à une distance de 3 kilomètres ou une lieue, pareil accident se produit : il exige une précision sur laquelle on ne peut raisonnablement tabler. Qu’un obus à mitraille (c’est le nom des nouveaux projectiles) vienne à éclater à bonne hauteur, il s’émiette en plus de deux cents morceaux, qui viennent grêler sur une surface de plusieurs centaines de mètres de profondeur. Il importe assez peu, alors, que le tir ait été précis : l’espace atteint est si considérable que ce sera miracle si une demi-douzaine d’hommes ne sont pas atteints grièvement, au point de ne pouvoir continuer leur service. Voilà qui vaut mieux (aux yeux des militaires s’entend, et non point des philanthropes) que de démolir une hausse, de blesser un cheval, ou de briser un trait. Certain de faire de grands dommages au personnel, on a renoncé à tirer sur les attelages et sur les autres élémens des batteries. Contre les murs, d’ailleurs, ces obus à mitraille sont suffisamment efficaces, agissant par leur masse et non par leur éclatement. Bref, on est armé bien mieux que par le passé pour atteindre de la cavalerie et de l’infanterie, et si, pour ruiner l’artillerie ennemie, on est dans d’autres conditions que jadis, on ne peut pas dire qu’on soit dans de moins bonnes conditions. Au surplus, et si à la rigueur on avait tenu à conserver les avantages de l’obus à forte charge de poudre concurremment avec le modèle nouveau, rien n’était plus aisé ; mais on y aurait perdu l’inappréciable bénéfice de la simplicité. Avoir dans un approvisionnement deux sortes différentes de projectiles, c’est se créer pour l’avenir des embarras et des mécomptes qui, dans les momens de crise, seront cruels. Le feu est vif, les munitions s’épuisent : vite il en faut de nouvelles. — Eh ! ne voyez vous pas là-bas un caisson qui ferait bien notre affaire? Allez le chercher, au galop. — Le caisson amené à la batterie, on l’ouvre : il est plein de cartouches d’infanterie ou d’obus d’un calibre autre que celui des pièces, ou du même calibre, mais d’un modèle différent de celui dont on a besoin. Quel désappointement ! On vient d’avoir l’idée excellente de peindre de couleurs distinctives les coffres qui contiennent des cartouches pour fusil et ceux qui contiennent des gargousses pour bouches à feu : de ce côté, les erreurs ne seront plus à craindre. Mais les voitures du matériel lourd (90)
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