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Comment va-t-elle être, cette impératrice que j’ai tant désiré apercevoir ? Je ne sais rien d’elle, si ce n’est que sa maison (les Foudjivara-Itchidjo) remonte, dans la nuit des âges, jusqu’aux dieux primitifs ; qu’elle est née un certain mois de mai, l’année même où je faisais aussi mon apparition sur la terre, au versant opposé ; et enfin qu’elle s’appelle Harou-Ko, ce qui signifie Printemps.

Avant de parler de ses traits, je voudrais essayer de décrire un peu fidèlement la tenue de cour, — de peur qu’en me lisant on ne se représente ces belles robes japonaises, aujourd’hui si communes en France, qui sont brodées avec un goût fantasque et qui donnent aux femmes de gentilles tournures mièvres. Non, le costume de la souveraine et des nobles dames du palais n’est rien qui ressemble à cela, même de loin ; c’est quelque chose de plus simple et de plus singulier, qui les fait larges, plates, rigides, hiératiques, n’ayant plus forme de femmes. Pour définir leur silhouette qui me hante, je ne trouve que cette image : deux cornets renversés et juxtaposés, dont les pointes seraient aux épaules et dont les ouvertures très élargies toucheraient le sol. On ne sait comment appeler cet assemblage, qu’elles portent, de deux jupes séparées, une pour chaque jambe ; deux jupes roides et bouffantes, deux cônes en soie rouge qui s’extravasent par le bas d’une incompréhensible manière. Leur camail de prêtresse, avec ses manches pagodes excessivement grandes et longues, commence depuis le haut ce pli unique, de chaque côté du corps, que continuent ensuite jusqu’à terre les deux jupes de pourpre.

Si ces jupes sont toujours rouges (par étiquette, comme les souliers), les camails, au contraire, varient de couleur à l’infini. Et quelles couleurs ! Des amaranthes, des jaunes capucine, des bleus turquoise, des verts à reflets de cuivre, des grenats qui paraissent receler du feu ; puis des teintes sans nom, d’une intensité extrême, ou bien d’une pâleur effacée, presque fuyante. Et tous ils sont semés, tigrés, si l’on peut dire, de larges taches régulières, d’un merveilleux éclat, qui semblent de grands yeux sur des ailes de papillons, qui semblent regarder comme des prunelles louches. Ces taches rondes sont symétriques et de même dimension sur tous les camails, mais varient, pour chaque dame, de nuance et de dessin : examinées de près, elles représentent des oiseaux aux plumes étalées en cercle, ou des chimères enroulées sur elles-mêmes la tête au milieu, ou bien encore des feuilles d’arbre groupées en rosace ; — Et elles sont les armoiries des nobles et antédiluviennes familles.

Et cette coiffure en ailes entr’ouvertes, qui l’a imaginée, d’où leur est-elle venue ? Aucun nœud, aucune coque, aucune épingle