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que la comportaient leur âge mûr et leurs goûts simples, il consacra le surplus à des œuvres de charité. Lui-même a souvent raconté qu’à l’époque où, jeune et pauvre, il luttait courageusement pour conquérir sa place au soleil, il se délassait de son labeur quotidien par des rêveries de philanthrope millionnaire. Son ambition était de venir un jour en aide à ceux appelés comme lui à franchir ces redoutables épreuves, aux pauvres et aux déshérités. Pauvre lui-même, il étudiait les moyens de les secourir ; enfant négligé, il se préoccupait des enfants abandonnés. En imagination, il dépensait une fortune qu’il n’avait pas, qu’il n’aurait peut-être jamais, à réaliser ses projets humanitaires. Marié, il en entretint sa femme, lui communiqua son ardeur et sa foi, et, la fortune conquise, tous deux se mirent à l’œuvre devenue commune.

Dans peu de pays, la charité privée a créé autant d’œuvres utiles qu’en Angleterre. La philanthropie y emprunte au caractère même de la race une intensité, une fixité de vues remarquables ; seulement, le mobile qui met en branle ces volontés opiniâtres et tenaces procède plus souvent, d’ordinaire, de la réflexion et de l’observation que de cette chaleur de cœur, de cette ardente sympathie pour les vaincus de la vie qui animaient Josiah Mason. Le sentiment du devoir parle plus haut chez l’Anglais que l’amour de l’humanité. Sa compassion est parfois hautaine. Dans la misère, il voit une ennemie, mauvaise conseillère ; dans le pauvre, un incapable, un être incomplet auquel il est utile et juste de venir en aide ; il ignore le plus souvent ce sentiment réflexe qui amène l’homme, en présence d’un indigent, à faire un retour sur lui-même, à se mettre un instant, en pensée, à sa place ; à se demander si le sort qui le frappe ne le frappera pas un jour. Si la sympathie fait défaut, la conscience, le raisonnement, le sentiment de l’équité y suppléent.

Dès son enfance, Josiah Mason était pénétré de l’idée que, si tout homme a droit de jouir des fruits de son travail, ce droit est limité à ses légitimes besoins ; qu’au-delà, ce qu’il possède, ce qu’il détient, ne lui appartient pas ; que son devoir est de l’affecter au soulagement de ceux qui, moins heureux, ont échoué ; et ce qu’il tenait pour équitable de faire, il le fit. Sans ostentation comme sans réclame, en toute simplicité, il affecta à des œuvres charitables la plus grande partie de sa grosse fortune, construisit à Birmingham l’orphelinage qui porte son nom, y dépensant près de 15 millions, consacrant à l’organiser ses dernières années, ses derniers efforts, créant à Elkington une maison de refuge pour les femmes, et, pour compléter son œuvre, dotant Birmingham d’un collège scientifique dont la construction et l’installation seules lui