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fixe, et ils finissent par se persuader qu’ils ont réellement à se défendre contre la France. Est-ce qu’ils n’ont pas vu il y a quelque temps nos soldats marchant sur Tripoli ou nos navires faisant voile pour aller attaquer la Spezzia ? C’était absolument ridicule, et les polémiques de tous les jours ne le sont guère moins. A quoi tout cela peut-il conduire, si ce n’est à entretenir des animosités qu’on devrait au contraire s’étudier à apaiser ? Il est infiniment vraisemblable que la vraie nation italienne ne désire aucun conflit avec la France, pas plus que la France ne désire un conflit avec l’Italie ; mais alors que signifie cette politique querelleuse et agitée, qui peut tout compromettre et ne sert qu’à satisfaire des passions aveugles ou des vanités bruyantes ?

Le malheur est que dans le temps où nous vivons, en parlant toujours de la paix, on ne s’occupe jamais que de la guerre, et aux dangers réels on se plaît trop souvent à ajouter le danger des faux bruits, des paniques d’opinion, des nouvelles répandues ou accueillies par les imaginations soupçonneuses. Qu’en est-il réellement de toutes ces divulgations récentes sur des traités secrets qui livreraient d’avance la neutralité de la Belgique à l’Allemagne, qui feraient des fortifications de la Meuse, votées l’an dernier par le parlement de Bruxelles, un moyen de protection ou d’action contre la France, au profit de l’armée allemande ? Depuis quelques jours, ces faits ont été racontés et présentés avec toutes les apparences d’une démonstration précise ; on y a même ajouté l’histoire du rachat d’une partie des chemins de fer de Belgique appartenant à la compagnie française du Nord, toujours, bien entendu, dans l’intérêt allemand. Et comme il faut que le comique se mêle souvent aux choses les plus graves, les nouvellistes à la recherche des confidences sont survenus aussitôt ; ils ont attribué au ministre des affaires étrangères du roi Léopold, au prince de Chimay, les propos les plus singuliers, ou pour mieux dire les plus extravagans, sur le rôle du roi, sur ses engagemens, sur le traité secret lui-même. D’autres ont imaginé, pour la prochaine guerre, dont ils connaissent d’avance le programme et le dénoûment, une distribution nouvelle des territoires, tout un plan de partage de la Hollande, de la Belgique et un peu de la France. C’est une histoire qui court le monde, avec le cortège obligé de documens, de révélations diplomatiques, de considérations stratégiques. Ce qu’il y aurait de sérieux, si cela pouvait être vrai, c’est l’existence d’engagemens secrets qui lieraient la Belgique, qui ouvriraient la vallée de la Meuse à une invasion allemande dirigée sur la frontière du nord de la France. Heureusement ce ne sont là que des fictions gratuites ou spécieuses, fondées sur une appréciation inexacte ou légère des faits, des traités et probablement des intentions.

A voir les choses dans leur vérité simple et éclatante, le seul fait réel, positif, incontestable, consacré par une série de transactions et